Un polar brut de décoffrage d’une sauvagerie inouïe. Vautrin dresse le portrait de l’inhumanité. Il démontre qu’en fonction des circonstances, on peut finir par laisser libre cours à nos plus bas instincts. La ferme, lieu isolé dans un océan de champs de céréales, est une prison dont aucun des occupants ne peut s’échapper. Un huis clos permanent où les rapports de force semblent clairement définis. Cobb le braqueur agit comme un détonateur, il est l’étincelle qui met le feu aux poudres et révèle les autres à leur bassesse. La cupidité engendre une brutalité incontrôlable, les protagonistes agissant sans qu’aucune barrière morale ne vienne réfréner leurs actes. Le résultat est saignant, noir de chez noir et, il faut bien l’avouer, par moments jubilatoire. Parce qu’il est évidemment impensable de prendre tout cela au premier degré. Seul le caractère grotesque, tragi-comique de l’ensemble et une pointe d’humour noir rend d’ailleurs la violence supportable.
Baru donne à ses protagonistes le visage de la laideur, déformant leurs traits en fonction de leur état d’esprit (colère, douleur, haine…). Il joue constamment sur le contraste entre la lumière éblouissante des jours d’été et la noirceur du propos. La douce chaleur estivale devient peu à peu poisseuse, irrespirable, étouffante. Son art du cadrage donne le dynamisme nécessaire aux nombreuses scènes d’action et malgré l’absence totale d’onomatopées, le lecteur discerne parfaitement le bruit et la fureur qui traverse toutes les pages. Un vrai tour de force graphique !
Canicule est un mélange réussi entre un récit d’action trépidant et une fable pessimiste sur la condition et la nature humaine. Une histoire déstabilisante qui, si on ne l’appréhende pas avec le recul et le second degré nécessaire, peut s’avérer fortement dérangeante. En tout cas, il n’y a pas à dire, c’est drôlement bon de déguster de temps en temps un petit noir bien serré comme celui-là. Le genre de lecture qui me manquait depuis les adaptations des romans de Manchette par Tardi.
Canicule de Vautrin et Baru. Casterman, 2013. 110 pages. 18 euros.
Une fois de plus j’ai le plaisir de partager cette lecture commune avec Mo’. Filez-vite découvrir son avis.