Un braqueur américain, poursuivi par les gendarmes et ses
complices, planque le magot dans un champ de blé avant de trouver refuge dans
une ferme beauceronne. Le problème c’est que cette ferme est le repère d’une
famille de tarés complets, aussi affreux que méchants. Le maître des lieux, totalement
abruti et ultra violent, son frangin alcoolique, un gamin souffre-douleur qui ne
sera pas loin d’être au final le pire de tous, une nymphomane hystérique, une
épouse presbytérienne et soumise qui finira par briser ses chaînes, j’en passe
et des meilleures. Le braqueur, une fois à l’abri des regards dans un grenier,
découvre l’horreur et constate qu’il y a bien plus méchant et retord que lui. Tout
cela va forcément mal se terminer. La tension monte, chacun en prend pour son
grade et personne, vraiment personne, n’en sortira grandi…
Un polar brut de décoffrage d’une sauvagerie inouïe. Vautrin
dresse le portrait de l’inhumanité. Il démontre qu’en fonction des circonstances,
on peut finir par laisser libre cours à nos plus bas instincts. La ferme, lieu
isolé dans un océan de champs de céréales, est une prison dont aucun des
occupants ne peut s’échapper. Un huis clos permanent où les
rapports de force semblent clairement définis. Cobb le braqueur agit comme un
détonateur, il est l’étincelle qui met le feu aux poudres et révèle les autres
à leur bassesse. La cupidité engendre une brutalité incontrôlable, les
protagonistes agissant sans qu’aucune barrière morale ne vienne réfréner leurs
actes. Le résultat est saignant, noir de chez noir et, il faut bien l’avouer,
par moments jubilatoire. Parce qu’il est évidemment impensable de prendre tout
cela au premier degré. Seul le caractère grotesque, tragi-comique de l’ensemble
et une pointe d’humour noir rend d’ailleurs la violence supportable.
Baru donne à ses protagonistes le
visage de la laideur, déformant leurs traits en fonction de leur état d’esprit (colère,
douleur, haine…). Il joue constamment sur le contraste entre la lumière
éblouissante des jours d’été et la noirceur du propos. La douce chaleur
estivale devient peu à peu poisseuse, irrespirable, étouffante. Son art du
cadrage donne le dynamisme nécessaire aux nombreuses scènes d’action et malgré
l’absence totale d’onomatopées, le lecteur discerne parfaitement le bruit et la
fureur qui traverse toutes les pages. Un vrai tour de force graphique !
Canicule est un mélange réussi
entre un récit d’action trépidant et une fable pessimiste sur la condition et
la nature humaine. Une histoire déstabilisante qui, si on ne l’appréhende
pas avec le recul et le second degré nécessaire, peut s’avérer fortement
dérangeante. En tout cas, il n’y a pas à dire, c’est drôlement bon de déguster
de temps en temps un petit noir bien serré comme celui-là. Le genre de lecture
qui me manquait depuis les adaptations des romans de Manchette par Tardi.
Canicule de Vautrin et Baru. Casterman, 2013. 110 pages. 18 euros.
Une fois de plus j’ai le plaisir de partager cette lecture
commune avec Mo’. Filez-vite découvrir son avis.