Nous en avions brièvement parlé à l'occasion de la mort de Robert Castel. Paru il y a quelques mois, L'avenir de la solidarité est un petit recueil efficace et d'une actualité évidente à l'heure où le gouvernement français agite de menaçantes « réformes de compétitivité ».
Droits sociaux, devoir de solidarité ?
Les articles réunis dans ce petit recueil se positionnent clairement à la frontière entre sociologie, économie et politique. Et tous se placent dans la lignée des pages introductives de Robert Castel défendant la protection sociale comme droit, à l'heure où elle est attaquée par la mentalité de l'anti-assistanat, du workfare et de « l'activation » des droits, dont les conséquences sont la remise en question des transferts sociaux et la constitution d'une classe pauvre et laborieuse, dont l'expérience est faite d'allers-retours entre chômage et travail précaire, sans espoir d'issue.
Les constats ici effectués, et souvent centrés sur le RSA et sa mise en place en remplacement du RMI, sont d'une actualité cruelle, et auraient pu être étendu à d'autres expériences (comme les réformes Hartz en Allemagne), pour en renforcer les conclusions. Mais l'affirmation de la protection sociale comme droit ne suffit pas, si la conscience n'est pas entretenue que ce droit correspond aussi à un devoir de la communauté vis-à-vis des plus fragiles, des moins chanceux, cette « conception Républicaine de la pauvreté » défendue par Castel, et qui implique avant tout de combattre la pauvreté laborieuse, et non de prétendre offrir aux pauvres une dignité en les forçant à travailler à n'importe quel prix.
Une fragilité chronique
De même, Jean-Claude Barbier souligne l'inefficacité du paradigme du workfare et de l'activation, et rappelle, force chiffres à l'appui, que « les pays où la version la plus punitive et rigoureuse des réformes d'activation a été mise en œuvre sont aussi ceux [...] où les inégalités se sont le plus accrues » (p. 63). L'activation des dépenses sociales n'est rien d'autre qu'un moyen de réduire ces dépenses, et n'améliore en rien la condition des pauvres, ni ne les aide à sortir de leur précarité par de prétendues incitations.
Le RSA constitue dans ce cadre une évolution symboliquement forte à partir du RMI, qui se fonde sur « une vision duale de la pauvreté » selon Hélène Périvier : pauvreté méritante contre pauvreté méritée. La position de la France dans ce débat est particulièrement révélatrice. Car contrairement à une idée répandue, le système social français n'est pas extrêmement généreux. Le RMI créé en 1988 est devenu réalité bien après l'instauration de revenus équivalents dans les pays les plus avancés économiquement en Europe (1933 au Danemark, 1948 au Royaume-Uni, 1961 en Allemagne). Et son niveau extrêmement bas ne cesse de se réduire, passé de 70 % du seuil de pauvreté en 1995 à 60 % du seuil de pauvreté en 2005 pour une personne seule (p. 74). Si l'on poursuit cette extrapolation, après instauration du RSA, celui-ci s'élevait à 2010 à 48 % du seuil de pauvreté. Réévaluer l'aide sociale est urgent, et la repenser ne l'est pas moins.
Robert Castel, Nicolas Duvoux (dir.)
L'avenir de la solidarité
PUF/La Vie des idées, janvier 2013, 112 p.
Prix éditeur : 8,50 €
Crédits iconographiques : 1. © PUF/Atelier Dider Thimonier | 2. © Charb