En entamant la Quatrième Théorie de Thierry Crouzet, l'image d'un bâton de dynamite s'est imposée à moi. L'auteur allume la mèche dès les premières lignes. Très vite, c'est l'explosion. La déflagration est telle que les personnages sont propulsés, malgré eux, dans le maelström d'une réalité sidérante à laquelle ils doivent faire face. Il en va de leur survie, de celle de leurs proches aussi. Puis, au fil de la lecture, une autre image m'est venue. Celle d'un Big Bang.
Pleins phares, au son des Slash
Eclosion de la Quatrième théorie.
Idé revient de Paris. Il regagne sa maison de campagne dans le Lot-et-Garonne où l'attendent sa femme, Mitch, et ses deux enfants, Tom et Ana. Ce soir, il doit aussi revoir son ami Jos, perdu de vue depuis vingt ans. A l'époque, ils jouaient ensemble les pirates du Net. Mais les retrouvailles sont tout à coup compromises. La route est bloquée. Accident de voiture. Sur les lieux, Idé trouve un tépléphone. Celui de Jos, qui sonne. Idé doit fuir. Lui et les siens doivent fuir. Ils sont en danger. Trois jours durant, ils seront tous au cœur de la guerre opposant les Croisés et le Freemen, se découvriront sous un jour insoupçonné, sans connaître de répit.
Avant d'être publiée en support papier, La Quatrième théorie a entièrement été écrite sur twitter, avec la contrainte de 140 caractères par phrase. Au début, celle-ci aura surtout permis à Thierry Crouzet de suivre l'impact de son histoire auprès de ses lecteurs, l'amenant parfois à la moduler en fonction de leurs réactions, de leurs retours. Bien plus que l'exercice en lui-même, c'est l'aspect expérimental de l'écriture qu'il semble important de souligner, pour la dynamique qu'il a engendré, que ce soit pour l'auteur lui-même ou pour ses followers : de l'état embryonnaire au tweet, du tweet au livre.
Le résultat est là, dans une alliance parfaite du fond et de la forme. Le style mitraillé, le staccato des mots restitue de manière immersive la frénésie du monde dans lequel Idé, Mitch, les Croisés, les Freemen, la société, évoluent. Notre monde. Derrière l'action, derrière cet emballement généralisé, dynamité par les nouvelles technologies, dont chacun essaie de se dépêtrer, se dévoile le territoire des idées. Croisés contre Fremmen. Les premiers accrochés au pouvoir, à la vision pyramidale, hiérarchisée de la société. Les seconds totalement démarqués de cette approche et prônant la mise en place d'un réseau décentralisé, par lequel l'individu n'aurait pas à subir la pression impulsée par les Croisés. Dire les choses ainsi pourrait laisser croire que Thierry Crouzet impose une vision très manichéenne. Or à la lecture de la Quatrième théorie, on voit très bien, très vite, qu'il n'en est rien.
-Les Freemen ne sont-ils pas ceux qui n'appartiennent à aucun parti ? -Ils s'opposent à des partis. En conséquence, ils sont dans le parti d'en dehors, dans un non-parti. -Est-ce possible de n'être ni dedans ni dehors, ni contre ni avec ? Demanda Idé. -Je n'en suis pas sûr, j'essaie.
L'auteur ne se place jamais en position de donneur de leçon, de chantre de la révolution. Il ne cède pas non plus au renoncement. Son credo serait, une fois de plus, celui de l'expérimentation. Dans le sens où il serait possible de s'affranchir des codes sociétaux tels que nous les connaissons. En proposant, en testant de nouvelles voies, sans que ce soit au détriment de l'individu. Bien au contraire celui-ci devrait avoir toute latitude à s'exprimer, à devenir acteur de sa vie et responsable de sa place dans la société.
Joseph m'a souvent parlé de toi. De ton aspiration à une existence ordinaire. C'est tout à ton honneur. Mais arrive un moment où même l'ermite ne peut plus se tenir à l'écart des égarements de hommes.
On perçoit très clairement la portée humaniste d'une telle perspective, celle-ci se révélant jusque dans l'expression de la Liberté et de l'importance du lien social, de notre rapport au monde.
Roman d'action et roman d'idées, on ressort de la Quatrième théorie avec 1) l'impression d'avoir lu un livre insolite qui vaut sacrément le détour - voyez-y l'image un peu éculée de l'OLNI si vous voulez, 2) l'envie de le faire lire à pas mal de monde – faudra que je le file à mon banquier tiens... 3) les cellules en ébullition... d'autant que pas mal de faits relatés sont issus de notre réalité et laissent plus que perplexe... stupéfait.
Ne jamais interdire, toujours comprendre.
La Quatrième théorie, de Thierry Crouzet, Fayard (Fayard noir), 2013, 541 p.