Une fois ce deuxième manuscrit envoyé, je me suis mis à attendre patiemment. En effet, je savais maintenant qu’il ne fallait pas espérer obtenir une réponse avant une bonne année. Mais au moins, s’agissant d’un roman, cette fois, j’étais sûr qu’on ouvrirait le manuscrit (ce qu’on n’avait évidemment pas fait dans le cas des nouvelles) et même s’il n’était pas retenu, on me dirait ce que l’on en pensait. Pour moi, c’était ce qui comptait.
Les mois se mirent donc à défiler les uns après les autres : huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze… J’en avais presqu’oublié que j’attendais une réponse ! C’est alors qu’eut lieu un salon du livre, que dans ma petite région on rebaptisa fort honnêtement « Foire du livre », ce qui était assez honnête. En effet, l’ambiance qui régnait là n’avait rien à voir avec le calme feutré des librairies, où l’on entend juste le bruit les pages feuilletées par quelques amateurs de littérature. Non, ici, c’était la grosse foire commerciale, avec des micros qui hurlaient sans arrêt, indiquant aux badauds qu’il y avait des débats qu’ils ne devaient surtout pas manquer et des séances de dédicaces incontournables, qu’il aurait été malvenu de négliger. Il régnait là-dedans un bruit extraordinaire et une chaleur étouffante. A certains endroits, on voyait une foule compacte se presser devant un stand dans l’espoir d’avoir un autographe. En se hissant sur la pointe des pieds, on pouvait apercevoir le chapeau moyenâgeux d’Amélie Nothomb… Plus loin, c’était tout le contraire : deux auteurs parfaitement inconnus attendaient patiemment qu’un lecteur éventuel vînt leur prouver qu’ils ne s’étaient pas déplacés pour rien. Mais personne ne venait, manifestement, et pour se donner une contenance ils buvaient une gorgée au verre d’eau qu’on avait déposé devant eux (au cas fort improbable où ils auraient dû parler beaucoup).
Bref, je déambulais dans ce capharnaüm quand, par le plus grand des hasards, je me suis retrouvé devant le stand de mon éditrice. Bon, elle n’était pas là en personne (en tout cas pas ce jour-là), mais son acolyte était là. Je me suis avancé pour demander s’il était normal de ne pas avoir de réponse après quatorze mois (pas dans le but de faire des reproches, mais simplement afin d’être rassuré. On ne sait jamais. On manuscrit se perd si vite !). C’est alors que quelqu’un de plus pressé que moi me brûla la politesse et vont s’enquérir de son propre manuscrit.
« Et vous vous appelez comment ? »
« XX »
« Oui… et le titre de votre manuscrit ? »
« ZZ »
« Oui, parfaitement, je m’en souviens très bien. Il est arrivé il y a une bonne année, c’est bien cela ? »
« Seize mois exactement… »
« Oui, mais c’est normal, nous recevons tellement de textes. Mais rassurez-vous, je me souviens parfaitement de ce titre. Je me demande même si je ne l’ai pas revu récemment dans la pile que nous lisons en ce moment. »
Et voilà mon auteur en herbe qui s’en va tout content, certain de recevoir une réponse positive dans quelques jours.
Je me suis alors avancé, j’ai posé la même question et j’ai reçu la même réponse. La différence, c’est que je suis reparti beaucoup moins confiant que mon prédécesseur. Il est vrai que je commençais à avoir un peu d’expérience dans le monde mensonger de l’édition.
Quelques mois se sont encore écoulés et j’ai reçu une réponse : « …n’entre pas dans le cadre de nos collections ». C’était la première fois que je lisais cela. Ce ne serait pas la dernière, malheureusement.
Cependant, cette phrase assassine qui venait de briser tous mes espoirs était suivie d’une autre, beaucoup plus optimiste (ou beaucoup plus perfide, c’est selon) : « … néanmoins, devant la qualité de certains textes, nous suggérons l’auto-édition. Vous trouverez ci-dessous la maison avec laquelle nous travaillons habituellement ». Suivait alors le nom d’une société parfaitement inconnue de moi, logée à la même adresse que ma chère éditrice.
Bon, j’avais compris. On ne m’éditait pas car mon texte ne serait pas rentable. Cependant, si je le trouvais bon, je pouvais prendre le risque de l’éditer à mes frais.
Aucun commentaire sur les « qualités » supposées du manuscrit, ni d’ailleurs sur ses éventuels défauts. N’étant pas encore complètement déniaisé, j’ai donc écrit un petit mail, où je remerciais pour le temps qu’on avait consacré à me lire et demandais d’avoir un compte-rendu de quelques lignes. La réponse fut rapide cette fois (elle vint dans les cinq minutes), mais plutôt sèche. En gros, elle disait : « Nous ne sommes pas des conseillers littéraires et n’avons pas pour habitude de donner un avis détaillé sur les manuscrits. Vu le nombre que nous recevons chaque jour, vous comprendrez aisément, bla bla, bla… ». Donc acte.
Quelques mois passèrent encore et je suis retourné une dernière fois à cette « Foire du livre » (depuis je n’y vais plus, dégoûté par son côté commercial et vente forcée). Et voilà que je retrouve l’acolyte de mon éditrice (elle, toujours absente et lui toujours aussi dynamique). Il expliquait justement à un petit jeune qu’il se souvenait parfaitement avoir vu son manuscrit dans une des nombreuses piles qui s’entassaient dans son bureau. Je n’ai pu m’empêcher de sourire. Comme je restais là, sans rien demander, c’est lui, je crois qui est venu vers moi. J’ai expliqué que non, que je n’attendais plus rien, que j’avais déjà reçu ma réponse et qu’elle était négative. Négative mais ambiguë quand même puisqu’elle disait qu’on n’éditait pas mon texte tout en reconnaissant que le manuscrit n’était pas mauvais (manière assassine de laisser un certain espoir aux pauvres « écrivants »).
« Et on vous a proposé quoi ? De l’auto-édition ?»
« Ben oui… »
« Et vous avez fait quoi ? »
« Rien, je n’ai pas accepté. »
« Vous avez drôlement bien fait, cela ne sert strictement à rien. »
« … »