Mais si l’on connaît quelques chansons du répertoire de Boby Lapointe – qui ignore encore Aragon et Castille, Framboise !, La Peinture à l’huile ou Ta Katie t’a quitté ? –, si l’on reconnaît facilement sa silhouette atypique, sa personnalité échappe toujours à une grande partie du public. Dans un essai intitulé Boby Lapointe, C’est bon pour c’que t’as (Le Cherche midi, 280 pages, 17 €), Chloé Radiguet contribue à combler cette lacune.
L’ouvrage n’est pas une biographie à proprement parler, mais un abécédaire qui, d’« Absurde » à « Zéro », livre une foule d’informations sur le chanteur, ses passions, sa famille, ses œuvres, ses amis et les femmes de sa vie. Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une biographie en forme de puzzle (ou, comme le revendique l’auteure, d’un « portrait en facettes ») car, une fois toutes les entrées assemblées, se dessine une image fidèle et intéressante, tant de l’artiste que de sa production. On apprend beaucoup, de sa générosité naturelle à son côté casse-cou, de son goût inattendu pour les mathématiques qui le conduisit à mettre au point un « système Bibi-binaire » (lequel suscita l’intérêt d’un très sérieux professeur au Collège de France) à ses angoisses, de ses (seconds) rôles au cinéma à ses amitiés fidèles et désintéressées. Sans oublier son esprit fantasque, que confirment les récits de nombreux canulars et acrobaties, dans tous les sens du terme.
Bien sûr, le parti pris littéraire d’un abécédaire, s’il ne fait pas l’objet d’une rigueur draconienne dès la première ligne, présente un risque, celui de la répétition. Et il faut bien admettre qu’en dépit (ou peut-être à cause) de son enthousiasme émouvant pour son héros, l’auteure n’a pas su éviter cet écueil. D’une entrée à l’autre, le lecteur rencontrera donc souvent les mêmes détails ; cette impression est renforcée par la présence, en début de volume, de 24 pages de « Pensées, paroles et anecdotes » qui seront presque toutes reprises in extenso dans le reste du volume, à tel enseigne que l’on s’interroge sur le choix éditorial d’avoir maintenu cette section liminaire. Pour autant, l’approche originale du sujet rend le livre attachant et très vivant. Et l’on se délectera des premières lignes du préambule de Brigitte Fontaine, qui brosse un portrait aussi juste que synthétique de son ami : « Boby ? Un sacré zigoto, inventif, inspiré, le roi de la déconnade impeccable, du non-sens ingénieux, de la farce miraculeuse, des jeux de mots qui sonnent. » On dirait de l'Audiard.
Illustration : pochette de disque.