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Avec “Le Dernier des injustes”, Claude Lanzmann clôt l’oeuvre de sa vie

Par Mickabenda @judaicine

Ovation de plusieurs minutes – mais on s’y attendait – à l’issue de la projection, hors compétition, du Dernier des injustes de Claude Lanzmann (le réalisateur de Shoah, faut-il le rappeler). En présence – on s’y attendait aussi – de nombreuses personnalités : Aurélie Filipetti, ministre de la Culture, et même Valérie Trierweiler, la « première dame », comme on dit.

Après Shoah, donc, et Sobidor, 14 octobre 1943, 16 heures, Claude Lanzmann ajoute un chapitre à l’oeuvre de toute sa vie : le massacre de son peuple par les nazis. Il y a plus de trente ans, il avait interviewé, sans utiliser ces images jusqu’à présent, Benjamin Murmelstein, le dernier » doyen des juifs » du camp de Theresienstadt. Dans chaque ghetto polonais, en effet, dès 1939, les nazis créent un Conseil des anciens, composé de douze membres plus un doyen, chargé d’être un lien entre eux et leurs prisonniers. Rôle souvent décrié, forcément, souvent utile, parfois détestable que Benjamin Murmelstein explique et défend en détail. C’est cette interview, arrachée au temps, que le cinéaste la confronte à la réalité d’aujourd’hui, dans un film de 3h40 qui eût gagné – quelle que soit sa force – à être remonté et raccourci d’une bonne heure.

On l’aime, Claude Lanzmann, quand, des feuillet à la main pour ne rien oublier de sa rage, il arpente le théâtre des horreurs passées. Il les détaille, au risque de se répéter beaucoup, mais il a, c’est évident, le talent de filmer avec intensité ces lieux immobiles, « atroces mais superbes », comme il le dit, qui semblent défier les atrocités passées.

Quant à l’interview de Benjamin Murmelstein, elle est, évidemment, passionnante. Mais surtout au début, lorsqu’il conteste la théorie de Hannah Arendt sur la banalité du Mal appliquée à Eichmann : un monstre parfaitement conscient de ses actes, dit-il. Et surtout à la fin, lorsqu’il défend sa mission, si contestée après la guerre. Et il est vrai que des questions se posent : pourquoi avoir accepté d’être « doyen des juifs » ? Pour sauver ses frères ou se sauver lui-même ?…

Brillant, caustique, sincère Benjamin Murmelstein répond au point d’attaquer ceux qui l’ont attaqué, jadis. Visiblement séduit par son esprit (nous sommes en 1976, sans doute n’est-il pas aussi aguerri qu’aujourd’hui), Claude Lanzmann le laisse s’exprimer. Il le conteste, mais avec bienveillance. Ce qui rend très humain et presque ambigu ce film trop long, mais magnifique.

Pierre Murat pour Telerama.fr


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