La faucheuse

La France va s’ιquiper de Reaper de General Atomics.
Le nom est bien choisi pour un engin qui porte la mort, depuis 15.000 mθtres d’altitude, Reaper, c’est-ΰ-dire faucheuse, appareil sans pilote dιveloppι par General Atomics. C’est un spιcialiste californien reconnu des UAS, Unmanned Aircraft Systems, selon l’appellation en vigueur au Pentagone. Non encore officialisιe, et moins encore annoncιe par l’industriel, cette commande porte sur deux exemplaires seulement de l’appareil, au prix unitaire catalogue de 56,5 millions de dollars. Le moins que l’on puisse dire est que la France aborde ΰ reculons l’usage des drones, continuant ainsi d’afficher un incomprιhensible retard. Jusqu’ΰ prιsent, l’armιe de l’Air s’ιtait contentιe d’un drone de Sagem et de quelques appareils de conception israιlienne quelque peu francisιs et sensiblement moins performants.
Pourquoi ce retard ? La question attend vainement une rιponse, d’autant que les contraintes budgιtaires ne constituent qu’une bien fragile excuse. Une guerre entre industriels, Dassault Aviation contre EADS, a fait perdre beaucoup de temps et d’ιnergie pour dιboucher sur l’absurde, c’est-ΰ-dire un achat sur ιtagθre aux Etats-Unis. Et cela ΰ supposer que Washington approuve la transaction qui devrait porter sur des Reaper non armιs. Ce qui ne devrait pas empκcher d’ensuite les «amιliorer» aprθs livraison, si telle doit κtre la doctrine. Aux Etats-Unis, ces appareils d’une masse maximale au dιcollage de 4,7 tonnes, d’une envergure d’un peu plus de 20 mθtres, et capables de tenir l’heure pendant 24 heures, sont gιnιralement armιs de bombes guidιes Paveway, de Hellfire air-sol ou encore de missiles guidιs par laser de type non prιcisι. Ils dιtectent leurs cibles grβce ΰ des moyens trθs sophistiquιs connus sous l’appellation de Multi-Spectral Targeting System. Leur ιquipage de deux hommes pilotent ιvidemment le Reaper ΰ distance, au sol, ce qui confθre ΰ leur usage un caractθre virtuel. D’autant que l’ennemi apparaξt au mieux sous forme d’une image sur ιcran, un ennemi sans visage.
Cette semaine, le philosophe Grιgoire Chamayou, se livrant ΰ notre consoeur de Libιration Alexandra Schwartzbrod, n’a pas hιsitι ΰ affirmer que «le drone apparaξt comme l’arme du lβche, celui qui refuse de s’exposer, il ne requiert aucun courage, il dιsactive le combat». Mais le chasseur-tueur UAS/drone, ajoute Grιgoire Chamayou, constitue dorιnavant l’arme anti-terroriste officieuse des Amιricains, chargιe de tuer en excluant toute possibilitι de faire des prisonniers. Ainsi va le monde, le gιnιral Denis Mercier, chef d’ιtat-major de l’armιe de l’Air franηaise, ayant rappelι il y a quelques jours, lors d’un colloque de l’Acadιmie de l’air et de l’espace, que l’heure est aux drones, «ιventuellement armιs», et aux drones de combat.
Ainsi ιvolue la doctrine. Les Forces armιes amιricaines se sont converties de longue date aux UAS, le plus mιdiatisι d’entre eux ιtant le Predator qui, lors de vols savamment mιdiatisιs, a rejoint une destination situιe ΰ l’autre extrιmitι du globe depuis sa base habituelle, une dιmonstration de force d’un type nouveau. L’inventaire de l’Air Combat Command, outre des types plus anciens, compte actuellement plus d’une centaine de Reaper, capables d’accomplir des missions oω que ce soit dans le monde, amenιs ΰ pied d’œuvre en C-130 avec leurs impedimenta, ou, plus simplement, volant de maniθre autonome vers leur thιβtre d’opιration ΰ la vitesse croisiθre de 370 km/h. Le Reaper est dotι d’un turbopropulseur Honeywell TPE331 de 900 ch.
Ainsi apparaissent des problθmes inιdits, rarement techniques, plutτt ιthiques. En ces temps de disette budgιtaire, et en attendant la nouvelle loi de programmation militaire, ces Reaper franηais apparaissent de ce fait comme chargιs de valeur symbolique. Ce qui n’est sans doute pas tout ΰ fait suffisant.
Pierre Sparaco - AeroMorning