Dans un article paru le 29 juin 2012, le Nieman Journalism Lab, institut de recherche sur le journalisme de l'Université Harvard, considérait que le journalisme en ligne au Mexique avait émergé comme nouvel acteur dans la scène médiatique de ce pays, pendant la campagne présidentielle de 2012.
Une émergence favorisée notamment grâce à la méfiance des citoyens face aux médias traditionnels. Entre innovation et nouvelles approches du journalisme, ces médias en ligne sont cependant confrontés à un certain nombre de défis pour assurer leur pérennité.
Pour Gabriela Warkentin, spécialiste en communication à l'Université Ibéro-américaine de Mexico, ils ont donné "beaucoup plus d'informations et d'analyses que les médias traditionnels" pendant la période électorale de 2012. "La principale contribution des médias en ligne, c'est qu'ils ont osé réaliser une couverture médiatique différente : plus de reportages de fond et d'investigation, une publication rapide et une mise à jour plus souple des informations" ajoute-t-elle.
Nous nous proposons au travers de cet article de centrer notre attention sur deux pure-players mexicains : Adn Político et Animal Político. Leur point commun ? Ils ont été lancés il y a quelques années mais ont tous deux connu un véritable essor pendant la campagne présidentielle de 2012.
Adn Político est un site spécialisé dans l'information politique mexicaine créé le 7 novembre 2011, par une équipe de journalistes politiques. Le site appartient au groupe éditorial : Expansion, fondé en 1966. Animal Político fut lui lancé le 22 novembre 2010, un compte Twitter ayant été lancé un an auparavant en 2009, à l'origine par quatre journalistes.
Choix éditoriaux
Adn Político a une ligne éditoriale claire : tous les sujets qui touchent à la politique des Etats-Unis mexicains (le Mexique est un pays composé de 31 Etats distincts fonctionnant un peu de la même manière que les Etats américains). Le site se présente comme donnant l’ensemble de l’actualité politique du pays, avec des analyses d’enquêtes électorales, mais aussi des informations sur les principaux personnages politiques du pays. Il a notamment couvert le déroulement de la campagne présidentielle de 2012. Actuellement, il se concentre sur "tout ce qui a trait au nouveau gouvernement de la république [Gouvernement d'Enrique Peña Nieto, ndla] et du Congrès de l'Union [Parlement et Sénat, ndla]" selon Mario de la Rosa, directeur éditorial du site.Pour Animal Político, la ligne éditoriale est plutôt apolitique : "Animal Político essaie d'avoir l'agenda citoyen comme partie intégrante de sa politique éditoriale. Pour cela, il insère des voix citoyennes, des acteurs sans appartenance politique et des organisations non gouvernementales dans ses écrits, interviews et points de vue. Et cela concerne aussi la section: Blog" affirme Hugo Maguey, directeur des contenus sur le site. Ce dernier privilégie les initiatives citoyennes "en faisant en sorte qu'elles trouvent une application pour la citoyenneté" rajoute-t-il. Les thèmes mis en exergue sont "ceux qui ont une incidence dans la vie publique du pays et qui sont peu traités par les autres médias." poursuit-il. Néanmoins, la politique y trouve quand même une place puisque l'accent est mis aussi sur l'analyse, par des experts, des conséquences des actions des députés et sénateurs.
Spécificités de chaque site
Du côté d'Animal Político, le site se revendique indépendant, "rigoureux et un média à deux voies" selon Hugo Maguey. "C'est-à-dire que nous répondons aux lecteurs, en plus de répondre lorsqu'il y a une erreur de notre part ou lorsque l'on reçoit des critiques des internautes" ajoute-t-il.
L'atout principal d'Adn Político, selon Mario de la Rosa, réside dans le fait que le site soit spécialisé en politique. Les difficultés rencontrées sont "celles, naturelles, de faire du journalisme en temps réel, avec des critères élevés de qualité".
A Animal Político, on souligne surtout comme points forts la jeunesse de la rédaction, le fait de profiter des outils numériques à disposition, et une forte présence sur les réseaux sociaux avec 364'541 abonnés sur Twitter et 449'357 fans sur Facebook. Le site dépasse le principal quotidien du pays, El Universal, pour le nombre de fans sur Facebook. En effet, ce dernier ne compte que 314'960 fans sur Facebook. Cependant, en ce qui concerne Twitter, El Universal reste loin devant avec 1'725'244 abonnés (chiffres du 29 avril 2013).
Rapport à l'innovation
Un des points clés pour comprendre le fonctionnement d'un pure-player est son rapport à l'innovation. Qu’elle soit au niveau de l’écriture, du webdesign ou bien dans l’utilisation des nouveaux outils numériques dans le traitement de l’information. Pour Adn Político, l'innovation se trouve, selon son directeur, dans le fait que "c'est le seul site au Mexique qui ouvre gratuitement et constamment des bases de données d'outils de consultation sur différents sujets traités". La stratégie recherchée par le site pour se développer est de "séduire davantage le public jeune par le biais des nouvelles tendances de communication".Animal Político, lui, mise plutôt sur les réseaux sociaux pour se développer avec "un usage adéquat" de ces derniers, puisque la moitié des visites quotidiennes sur le site proviennent de là, selon Hugo Maguey. De plus, un des atouts majeurs du site est son alliance avec des médias internationaux comme BBC ou Radio Netherlands. Développer davantage ce genre de partenariats constitue une piste non négligeable à cultiver pour le développement du site à plus ou moins long terme. Pour l'instant, ce dernier innove principalement à travers les outils numériques "que beaucoup d'autres sites ne mettent pas à profit" selon son directeur. Ces outils vont des "graphiques ou vidéos" à des "infographies interactives", en parallèle d'une communication "effective et en direct avec nos lecteurs" précise Hugo Maguey.
Financement et modèle économique
Ne s’appuyant pas toujours sur un groupe de médias, les pure-players doivent trouver un financement. Pour Adn Político, le site est exclusivement financé par la publicité et il ne "cherche pas à générer des revenus par d'autres voies" déclare son directeur.Chez Animal Político, le modèle est différent puisque ce sont deux journalistes qui en sont les principaux investisseurs. "Ce sont deux jeunes journalistes avec une vision de journalistes et non d'hommes d'affaires" précise Hugo Maguey. "En fait, le site se finance avec peu d'argent. Les opérations bancaires du site sont bon marché, avec peu de gens les effectuant et peu de ressources" ajoute-t-il. Par ailleurs, le site cherche à développer d'autres sources de financement à partir de l'hyper segmentation, c'est-à-dire choisir un public en le considérant en fonction de paramètres comme le lieu d’habitation, les pratiques socio-culturelles (par exemple si le public va au cinéma, au théâtre, s'il aime le football ou non...).
Il s'agit en fait de mieux le cibler pour pouvoir davantage s'adapter à ses goûts et mieux répondre à sa demande d'information, de manière plus spécifique.
Par ce biais, le pure-player espère avoir bientôt d'autres sites qui lui seront reliés et qui en feront partie intégrante. Le site a également des projets de coopération pour pouvoir réaliser du journalisme d'investigation. "Nous avons réussi des projets avec InSight Crime (site spécialisé dans la recherche et l'investigation autour du crime organisé en Amérique Latine et dans les Caraïbes), Articulo 19 (organisation indépendante qui défend les droits de l’Homme à travers le monde et qui protège et promeut le droit à la liberté d'expression) et nous travaillons actuellement sur un possible accord avec Freedom House (organisation basée à Washington qui étudie l'étendue de la démocratie à travers le monde, en défendant notamment la liberté dans les institutions)", détaille Hugo Maguey.
Cependant, les deux pure-players, distincts dans leur modèle économique, sont confrontés à de nombreux défis, notamment en ce qui concerne la demande croissante d’informations sur de nouveaux supports (tablettes, smartphones, etc). Le critère de maintien de la crédibilité figure aussi parmi ces défis, pour Animal Político. “C’est ce qui nous différencie des autres médias. Il faut continuer à maintenir la rigueur et en parallèle être rapides et innovants” souligne Hugo Maguey.
Enfin, garder chacun leur indépendance malgré un budget serré est aussi au coeur des préoccupations de ces deux sites d'information en ligne dans un paysage médiatico-numérique encore hésitant.