Un regret. Car j'en éprouve toujours un en semblable situation : ne pas avoir la permission d'enfiler des gants blancs pour manipuler, ouvrir, feuilleter, caresser et m'enfouir tout entier dans ce trésor de papier aux dimensions souvent peu communes.
Et ce regret se révèle en outre consubstantiel à un second, convoquant également un de mes sens : ne pas être à même, à cause de la vitre qui nous sépare, de les renifler, de les humer, d'inhaler l'odeur quasiment enivrante du papier vieux, de m'en saouler, comme quand je pénètre avec délectation dans la caverne aux richesses de certains bouquinistes de la galerie Bortier, rue de la Madeleine à Bruxelles.
Ma propre madeleine proustienne, en quelque sorte ...
Quand, les 25 et 28 juin 2011, nous avions parcouru, souvenez-vous amis visiteurs, la première des deux manifestations d'envergure que Paris, ce printemps-là, dédiait à Emile Prisse d'Avennes, - celle que le Louvre organisait dans l'étroite salle 12 bis de son Département des Antiquités égyptiennes réaménagée pour l'occasion -, évoquant les livres et archives du XIXème siècle qui concernaient plus spécifiquement la Chambre des Ancêtres de Thoutmosis III qu'il avait "rapportée" d'Égypte, j'avais laissé sourdre cette passion qui est mienne des documents anciens que traduisent les quelques mots écrits alors, repris ce matin en guise d'exergue.
Passion, je le précise tout de go, qui ne ressortit nullement au fait que je sois compulsivement en quête de reliures rares - sur l'esthétique desquelles, bien sûr, je puis m'attarder avec gourmande délectation comme j'ai choisi de le faire mardi dernier -, mais plutôt à ma dilection à lire des ouvrages d'antan.
Passion partiellement assouvie une fois de plus en découvrant dernièrement les salles qui prolongent la galerie du rez-de-chaussée du Musée royal de Mariemont
et qui ceignent la
Réserve précieuse - vous vous rappelez ? - :
là sont mises en lumière photographies, cartes, relations de voyageurs des siècles passés,
lettres autographiées ...,
parfaitement corrélées avec l'objet de l'exposition itinérante du second étage Du Nil à Alexandrie. Histoires d'eaux dans laquelle je vous convie à m'accompagner depuis le 23 avril.
Dès le hall d'entrée, plutôt qu'emprunter le grand escalier qui y mène, - et que nous gravirons à nouveau dans les prochaines semaines -,
dirigeons immédiatement nos pas vers la droite, vers la dite galerie, tout en saluant au passage quelques membres de la famille Warocqué,
industriels hennuyers qui, au XIXème siècle, ont prospéré grâce au charbon et dont le dernier descendant, Raoul (1870-1917), fut, au sein même du château familial, à l'origine de cet établissement muséal grâce à ses imposantes collections archéologique et bibliophilique.
Devenu bourgmestre de Morlanwelz en 1900, il fut cet humaniste laïc, philanthrope qui,
estimant que ceux grâce auxquels il s'était enrichi méritaient plus qu'une simple considération, puisa dans sa fortune personnelle pour doter la ville - coïncidence, vous en conviendrez, pour le moins frappante eu égard à la thématique développée par l'exposition en cours
-, d'une nouvelle adduction d'eau !
Ses ancêtres et lui semblent ici nous accueillir en vue de nous guider vers les documents que je suis impatient de vous dévoiler.
En commençant, avant d'entrer dans la première salle proprement dite, par cette remarquable carte d'Alexandrie due au savant égyptien Mahmoud El-Falaki (1818-1885).
Brièvement, autorisez-moi à en retracer la genèse.
Nous sommes en 1865. Napoléon III, empereur des Français, éprouvant une réelle fascination pour Jules César, entend lui consacrer une biographie. A cette fin, il entend disposer d'un plan détaillé de la ville d'Alexandrie. Aussi, pour l'obtenir, s'adresse-t-il tout naturellement à Ismaël Pacha, khédive d'Égypte.
Demande est alors transmise à l'astronome officiel de la cour.
De manière à relever le périmètre des murs d'enceinte, ainsi que l'entrelacs du réseau viaire, le savant effectua les sondages adéquats - 250, selon Jean-Yves Empereur -, que lui permettaient les moyens de l'époque. Avec toutefois la précision digne de grands mathématiciens, il réalisa ainsi un portrait urbain en y insérant quelques imposants monuments de styles grec et égyptien depuis longtemps disparus mais auxquels les sources écrites antiques faisaient amplement allusion - et dont des membra disjecta sont encore actuellement visibles au sein même de la ville.
Certes, à l'aune des études topographiques contemporaines qu'autorisent les fouilles archéologiques sous-tendues par les prospections électromagnétiques ou autres, la carte que ce pionnier dessina en 1866 - notamment au niveau de l'emplacement de l'heptastade, longue chaussée faisant communiquer ensemble la ville proprement dite et, au large, sur l'île éponyme (Pharos), son célèbre phare -, présente d'inévitables erreurs ! Nonobstant, jusqu'à tout le moins le mitan de la dernière décennie du XXème siècle, elle constitua l'indiscutable parangon pour la majorité des plans qui furent levés de l'ancienne capitale des Ptolémées.
Engageons-nous à présent dans la première des salles bordant le "saint des saints" d'où
proviennent quelques-unes des merveilles que je souhaite vous faire découvrir.
Sur le long mur de gauche, ainsi que sur celui du fond, courent d'immenses vitrines exposant divers ouvrages anciens, notamment de grands voyageurs qui ont relaté leurs périples en terre égyptienne : si, dans un premier temps, c'est tout naturellement devant ceux des pionniers que nous nous arrêterons : Histoires, d'Hérodote (Exemplaire de 1881 - MRM R 1015 / inv. 6940), Géographie, de Strabon (Exemplaire de 1863 - MRM R 1010 / inv. 7361-7362), Bibliothèque historique, de Diodore de Sicile (Exemplaire de 1857 - MRM R 1015 / inv. 6933-6936), dans un second temps, c'est à des hommes tels que le comte de Volney et son Voyage en Égypte et en Syrie, pendant les années 1783, 1784 et 1785 ... (Exemplaire de 1825 - MRM R 474 / inv. 11.723 - 11.730) que nous penserons, ou à Jean de Thevenot et son Voyages de Mr de Thévenot au Levant, où l'Égypte est exactement décrite avec ses principales villes & les curiosités qui y sont (Exemplaire de 1728 - MRM inv. 15.894), ou à James Bruce et son Voyage aux sources du Nil ... (Exemplaire de 1791 appartenant à un collectionneur privé)
ou à Livingstone, ou encore à Stanley, dont le portrait apparaît dans ce numéro 2441 de l' Illustration du 7 décembre 1889 ...
Sans évidemment oublier le Marseillais féru d'égyptologie qu'était Jean-Jacques Rifaud dont vous pouvez admirer, sur le mur de droite, prêtées pour l'occasion par la Société royale d'archéologie, d'Histoire et de Folklore de Nivelles et du Brabant wallon, quelques lithographies encadrées.
Réalisées d'après son Tableau de l'Égypte, de la Nubie et des lieux circonvoisins, depuis 1805 jusqu'en 1828 (MRM - inv. Ac. 74/2),
elles vous éclairent sur moult détails anatomiques soit de Poissons du Nil,
soit de Crocodiles du Nil.
Parce que ce matin nous avons entamé notre déambulation dans cet espace par la carte
d'Alexandrie d'El-Falaki, poursuivons-là, voulez-vous, par celle du géographe belge Mercator proposant le parcours du Nil, qu'il fit éditer à Duisbourg en 1578 (MRM - R 892 / inv.
18697)
Concluons provisoirement notre tour d'horizon et arrêtons-nous à l'entrée de la petite salle voisine, devant un présentoir vitré particulier
puisqu'il accueille, ouvert sur sa trente-et-unième planche, le cinquième volume d'une des
éditions d'époque de l'imposante Description de l'Égypte, ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition
de l'armée française, publié par les ordres de Sa Majesté l'Empereur Napoléon le Grand ;
planche titrée Carte générale des côtes, rades, ports, ville et environs d'Alexandrie, dressée par MM. les Ingénieurs de l’Armée d’Orient et dessinée par M. Gratien le Père, en 1798.
Offrez-vous à présent le temps, amis visiteurs, de retourner
voir le plan de Mahmoud el-Falaki aux fins de le comparer à celui-ci, réalisé quelque septante années plus tôt ...
(Daszewski : 1994, 423-4 ; Empereur : 1995, 745, note 3)
Répondant à la demande de certains d'entre vous, permettez-moi d'indiquer à ceux qui captent les programmes de la première chaîne de la télévision belge (RTBF 1) que l'émission Télétourisme du samedi 25 mai prochain - à partir d'environ 13,30 H. - proposera une séquence de quelque 5 minutes filmée à Mariemont à laquelle j'eus l'opportunité de participer en avril dernier.
Vous en aurez la primeur dans la mesure où, personnellement, je ne serai pas au pays à
ce moment-là.
En principe, dans les jours qui suivront cette première diffusion, elle devrait être visible par tous sur le site internet de Télétourisme.
Si tel était le cas, je vous le confirmerai dès mon retour et vous en fournirai le lien direct.