ROCK OBSCUR – « Songwriteuse » confirmée, Shannon Wright revient sur le devant de la scène avec un 10ème opus qui poursuit une œuvre remarquable. Forte d’avoir joué avec de grands noms de la scène rock tel Nick Cave, traversé mille déboires dans tous les États-Unis, la prêtresse du rock obscur à fleur de peau remet l’ouvrage sur le métier quitte à sacrifier à son art ses dernières économies. Artiste sans concession depuis le début de sa carrière, femme écorchée par la vie et le besoin d’authenticité, sa dernière production sera-t-elle à la hauteur de tant d’expérience et de sensibilité ?
Avec ainsi tout d’abord le très bon "Noise Parade" qui porte bien son nom. Sans compromis, le titre explose d’entrée de jeu avec une batterie qui cogne violemment soutenant un riff heavy, abrasif voire métallique. La voix se fait suave et sombre et l’ensemble roule comme une mécanique endiablée que quelques descentes de guitares saturées conduisent l’auditeur à percevoir comme le zeste de folie et de psychose qui habite sa créatrice. Les titres suivants (The Caustic Lights, Tax the Patients) s’inscrivent en droite ligne du premier mais avec de grandes nuances toutefois.
Si l’on retrouve le principe de chanson à un riff (acéré) soutenu par une batterie nerveuse, il n’empêche que se glissent cette fois quelques arpèges pointus comme des fils barbelés et que le rythme sait alterner entre des parties droites et d’autres plus syncopées. La voix évolue alors dans un registre fragile et triste mais aussi étriqué et fatigué pour nous ensevelir sous un tsunami de noirceur, un essaim bourdonnant et maléfique. À relever qu’à ce stade, la basse se fait plus présente et musclée. Elle accompagne une batterie sobre mais marquée ce qui donne du ressort et un effet d’arraché à des guitares puissantes et parfois saturées.
Avec la force du désespoir, comme après une longue cavalcade faite de chutes et de rebondissements, les titres suivants nous plongent dans une ambiance plus feutrée et fantomatique quoique toujours électrisante. "Who’s Sorry Now" nous entraine en effet dans une sorte de slow spectral aux effluves d’alcool et de désespoir : celui de l’artiste dont la voix encore une fois se fait fragile au son de la basse et de la guitare à la fois sous-marines et vibrantes. Dans cet espace où la violence a laissé place à l’étourdissement, "Bleed", court intermède de piano, constitue peut être le titre le plus sincère de l’album où Shannon Wright se met le plus à nu dans sa détresse.
Avant de refaire cependant la part belle à son rock ténébreux et par là, au combat. Les trois titres suivants poursuivent en effet cette lutte pour la survie au fin fond de l’abîme : ombre, stress, rage, espoir et désespoir constituent les thèmes du film noir et musical que tourne Shannon Wright à coup de riffs massifs et passionnés, d’arpèges grinçants et mélodieux et de batterie tonitruante. La course continue quitte à souffrir et se débattre.
Cette échappée sauvage se conclut alors en toute beauté sur une note finale intense et bien choisie digne du vieux Paris : accordéon et orgue de barbarie nous introduisent dans le monde de la rue avant de se casser véritablement la gueule marquant la fin du film. Métaphore sonore authentique de l’artiste de rue qui s’obstine à faire tourner la manivelle de son instrument jusqu’à la fin, cette conclusion morbide illustre clairement la volonté de Shannon Wright de ne pas lâcher le morceau tant qu’il lui restera un semblant de vie.
Cette mise en abîme de soi-même et de ce qu’elle envisage être sa fin donne à cet album toute sa cohérence. Plus que de construire un film en musique – celui de sa vie sur la route, dans les rues… – Shannon Wright met son âme dans chaque titre de cet album. D’une authenticité et d’une générosité inouïe, IN FILM SOUND est une perle rare dans un océan de facticité. Véritable mise à nu de l’artiste, gageons que l’album satisfera tous les mélomanes à la recherche de musique sincère et de sensations fortes. Une très grande réussite.