Je veux voir ce film!

Par Legraoully @LeGraoullyOff

François Cavanna l’ignore tout à fait, mais il m’a sûrement sauvé la vie. Bon j’exagère à dessein, je serais peut-être juste devenu un bon citoyen ordinaire, bête à bouffer du grillage et relativement satisfait de ma vie de con. On ne saura jamais, pas la peine d’échafauder des hypothèses. Reste qu’il y a une vingtaine d’années, j’étais un adolescent boutonneux sans intérêt traînant son morne ennui dans un patelin désolé du Poitou. Patelin désolé, mais pas autant que moi: je me faisais vraiment chier, d’un ennui d’une épaisseur à faire passer la muraille de Chine pour une aimable haie et une plaque d’acier de Longwy pour une feuille de papier à cigarette. D’un ennui à trouver la lecture de Télé 7 Jours parfaitement intéressante. Bref, du bon matériau brut pour se préparer une existence aussi plate que le sud des Deux-Sèvres.

Et puis au hasard d’une commission pour mes darons, j’ai découvert Charlie Hebdo, qui venait à peine de renaître de ses cendres. Philippe Val était déjà moralisateur à faire bailler un séminariste, mais il ne racontait pas que des conneries. Le regretté Pasquini défendait les bêtes et pourfendait les curetons avec une ardeur jubilatoire. Et puis les dessins de Luz, de Charb, de Cabu et des autres qui parlaient des mêmes choses que les pingouins coincés du système digestif qui passaient à la télé, mais en plus rigolo. Et avec en prime, des avis qu’on n’entendait pas ailleurs. Et puis il y avait aussi Siné, le papy furax, et puis Cavanna qui écrivait mieux que tous les autres. Je m’étais fait une nouvelle bande de copains qui déconnaient à plein tube, et grâce à eux j’ai renoncé à la gloire d’être un tube digestif et productif pour le bénéfice d’on ne sait qui.

Ellipsons vite fait, parce que je ne veux pas mâcher le boulot à mes futurs biographes. Depuis cette glorieuse époque, de l’eau a coulé sous les ponts. Il y a eu « l’affaire Siné », Val est devenu infréquentable, Cabu est devenu chiant comme la pluie, et Charlie ressemble de plus en plus à Libération (ce n’est pas tous les jours un compliment). Le fourbe Charb, qui a lâché son tonton putatif en pleine cambrousse, est toujours le meilleur dessinateur de presse de France (avec le professeur Blequin, bien sûr) mais le cœur n’y est plus. J’ai depuis fait la rencontre d’autres copains qui écrivaient des trucs marrants et intelligents, je ne promène plus mon acné au bord de la Béronne mais je suis devenu un grand adolescent qui promène sa dipsomanie joyeuse au bord de la Moselle. Et si je ne lis presque plus Charlie, je n’ai jamais cessé de lire Cavanna. C’est lui qui m’a appris à lire; pas à décrypter les caractères qui forment les mots, ce qui est à la portée du premier primate venu, mais à comprendre ce que j’avais sous les yeux. C’est aussi lui qui m’a donné envie de griffonner des conneries pour essayer de faire rigoler et (un peu) réfléchir. Toutes les chroniques immondaines, c’est de sa faute.

Pourquoi toutes ces solennités, alors que ni Cavanna ni moi ne sommes morts? Et bien parce que notre ami aux fières bacchantes est hélas trop méconnu des lecteurs, alors que Marc Lévy vend encore plus de PQ que Lotus et Moltonel réunis. Et parce que ça n’inquiète heureusement pas que moi. Notre ami et compatriote mosellan Denis Robert, non content d’avoir chié dans les bottes de Clearstream avec une pugnacité que devrait lui envier plus d’un éditorialiste mondain, aimerait bien réaliser un film sur le grand homme. Comme Denis risque d’avoir du mal à faire un crédit vu ses fraîches relations avec le monde de la finance, il lance une souscription pour mener son projet à bien, comme il s’en explique ici: http://www.kisskissbankbank.com/jusqu-a-l-ultime-seconde-j-ecrirai?ref=home_popular

Alors certes, c’est la crise, c’est la récession, et disons le crûment, c’est la merde. Mais d’une, en aidant Denis Robert à réaliser son long métrage, vous contribuerez à relancer la croissance, d’autant plus qu’une fois qu’il sera sur les écrans, je n’aurai de cesse de harceler chaque personne que je croiserai jusqu’à ce qu’il/elle aille le voir au moins deux fois. De deux, plutôt que de regarder Hollande réciter son bréviaire de blagues Carambar ou que de lire Boutin se demander si Angelina Jolie veut ressembler à un homme (alors que bon, c’est pas Vénus Callipyge non plus), vous en apprendrez un rayon sur la genèse de ce qui est vraiment drôle de nos jours. Et vu qu’on n’a pas si souvent l’occasion de rigoler ces jours-ci, c’est une opportunité à ne pas laisser passer.

Ensuite, vous ferez la connaissance de Cavanna, qui sous ses faux airs de gauchiste enragé est un vrai gentil. Vous ne pourrez pas vous empêcher de vous précipiter dans les librairies pour dévorer son œuvre monumentale au lieu de lire n’importe quoi sur Internet. Enfin, cerise sur le gâteau, Denis Robert qui est un garçon généreux, vous fera plein de cadeaux pour vous remercier de votre participation. Par exemple, votre nom au générique, pour que vous puissiez crâner comme si vous étiez au festival de Cannes, mais sans être obligé de faire le malin chez Michel Denisot.

En résumé, ce film est d’intérêt général, comme toute l’œuvre de Cavanna, depuis Hara-Kiri jusqu’au « Voyage », son dernier roman en date, et comme l’oeuvre de Denis Robert, soit dit en passant. Et j’ose espérer que Denis pourra faire son film du vivant de Cavanna, pour éviter que les vautours télévisuels ne s’en emparent avant qu’un réalisateur honnête ait eu le temps de faire le boulot.

La seule fois où Cavanna m’a déçu, c’est quand il a menacé de mettre son poing dans la gueule à Bukowski sur le plateau de Pivot. Je sais qu’il ne l’aurait pas fait. Comme moi, il était déçu parce que Hank était trop raide comme un canard pour parler de bouquins, et parce qu’il aime Bukowski autant que moi. Donc ça ne compte pas.

Alors donne à Denis!