L’inspecteur Michel me dit que j’ai été ausculté pendant mon état inconscient et que le médecin n’a pas jugé nécessaire de faire le transfert à l’hôpital dans l’urgence, et que j’irai dès que l’interrogatoire sera terminé et si l’ambulance revient. Je comprends à la moue qu’il fait en parlant de l’ambulance qu’il devra se charger de cette tâche si elle ne revenait pas. L’idée d’avoir à faire trente kilomètres de plus ne semble pas l’enchanter. Il note encore quelque chose sur son carnet qu’il a posé sur ses genoux. Cela lui donne une attitude de collégien, qui s’accentue lorsqu’il porte son stylo à sa bouche pendant qu’il relit ses notes. Il se gratte la tête, relève les yeux de son carnet et les plante dans les miens comme pour me sonder.
- « Vous affirmez que c’est elle qui a porté le coup de marteau sur la tête de son mari, parce qu’il allait vous tuer ? Etes vous sur de maintenir cette déposition ? ».
- « Oui, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Tout s’est réellement passé comme je viens de vous le raconter ».
Son regard reste planté dans le mien pendant plusieurs secondes, puis il le laisse pour retourner à son carnet et noter une nouvelle information. Soudain, sans rien dire, il se lève, se déplace de plusieurs pas et prends son téléphone portable. Qui appelle-t-il ? La conversation ne dure que quelques secondes et il raccroche, puis revient vers moi.
- «Je vous amène à l’hosto. L’ambulance ne sera pas là avant une heure et moi j’ai encore du pain sur la planche. Je vous détache. Encore une fois, je vous rappelle qu’il serait judicieux de votre part de rester tranquille et de ne pas essayer de vous échapper.»
- « Que va-t-il se passer après l’hôpital ? » je demande pendant qu’il me délie l’autre main.
- « Je vous amène devant le juge d’instruction pour une comparution immédiate. Il décidera de votre avenir à court terme. Mon rôle est de relever les indices et les dépositions et de les lui fournir. Il décidera de la suite. »
- « Je peux passer un coup de fil ? »
En même temps que je prononce cette phrase, je me dis qu’il va me rétorquer que nous ne sommes pas dans un film mais dans la réalité, et que ce n’est pas possible.
- « Allez-y. Mais un seul coup de fil positif. Si vous n’arrivez pas à joindre le premier vous avez droit à un second appel. Mais pas plus. » me dit-il en me tendant son téléphone portable.
Légèrement éperdu, je me demande à qui je vais pouvoir passer cet appel unique. Et lui qui me dit ça comme une récitation. Mais j’ai combien de temps pour le passer ce coup de fil ? Combien de temps pour trouver le destinataire de cet appel ? Celui qui saura quoi faire. Celui à qui je peux avouer ce qu’il m’est arrivé et la situation dans laquelle j’étais au moment des faits. Je prends le téléphone qu’il me tend depuis quelques secondes et le regarde dans ma main, paume ouverte.
- « Vous ne savez pas vous en servir ? » me demande t-il après quelques instants.
- « Si si. Mais je ne sais pas qui appeler. » Et je le regarde avec un sourire plissé, entre le rictus et le sourire forcé.
- « Vous connaissez un avocat ? Si c’est le cas, autant aller à l’essentiel. Sans trahir le secret de l’enquête, je peux d’ores et déjà vous dire que vous allez en avoir besoin d’un rapidement.»
Il dit ça avec un sourire complice. Il semble heureux d’avoir pu utiliser les mots « secret de l’enquête ». Un peu comme si cela lui faisait penser à une anecdote rigolote qu’il partage avec plusieurs collègues. Je me dis que je connais effectivement un avocat, mais que je ne connais pas son numéro par cœur.
Je pense mais ne lui dit pas, qu’il est probable que cet avocat ne se rappelle pas de moi.