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Louis Wolfson - Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir mémorial à Manhattan
Par MarelliaLittérature + Maladie = Littérature
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Louis Wolfson - Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir mémorial à Manhattan [Attila, 2012]
Texte halluciné et hallucinant, dont la lecture ne laisse pas indemne, texte excessif méprisant toute convention, texte qui provoque, qui heurte et qui appuit là où ça fait mal tout en ayant l’air de ne pas y toucher…
On pourrait continuer un petit moment comme ça, enchaînant de manière plus ou moins automatique les formules toutes faites. Et pourtant. Comment le dire autrement ? Quand le cirque médiatique nous vend de l’exceptionnel et du sensationnel à tout propos s'agissant de textes qui la plupart du temps n'en valent pas la peine, il arrive quelque fois que des formules qui à force d’avoir été utilisées à tort et à travers en sont devenues terriblement creuses redeviennent utiles. C’est qu’il y a certains textes qui justifient vraiment toutes les formules à l’emporte-pièce qu’on voudra bien leur appliquer.
En voici un exemple, et pas dès moindres : Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir mémorial à Manhattan (ouf !), livre écrit en français au début des années 1980 par l’américain Louis Wolfson, que les toujours impeccables éditions Attila ont eu l’excellente idée de rééditer l’année dernière. L’hallucination – ou pour employer un mot peut-être moins ampoulé, l’expérience – commence ici par la découverte d’une langue inédite. Si l’écrivain est celui qui écrit comme si sa langue maternelle était une langue étrangère, Wolfson, lui, préfère « simplifier » l’équation : il écrit directement dans une langue étrangère. Wolfson chamboule notre belle langue de Molière si tristounette et rigide comme bien peu auraient le courage, la volonté ou le talent de le faire. Mais c’est que chez Wolfson ce rapport totalement neuf à la langue remonte à loin et à sa propre biographie. Notre homme est polyglotte, serpentant avec aisance entre français, allemand, russe, hébreu… Cette apparente facilité trouve racine chez lui dans un rejet profond de sa propre langue, l’anglais, qu’il semble ne pouvoir supporter qu’à doses homéopathiques. Ce rejet, né d’un traumatisme, s’explique aussi par la personnalité complexe et instable de Wolfson, qui - malgré (ou à cause) de sa prodigieuse intelligence - est schizophrène. Et un peu parano aussi. Il est l’auteur d’un premier livre dont je ne dirais pas grand-chose ne l’ayant pas lu, Le schizo et les langues, publié par Gallimard en 1970, où il relate semble t’il son expérience avec les langues et sa méthode unique d’apprentissage d’idiomes divers à partir d’une mutation de l’anglais. Le livre – faudrait-il vraiment s’en étonner – reçut un accueil exceptionnel de la part de l’intelligentsia française, préfacé par Deleuze, loué par Foucault, etc…
Ma mère…, est donc écrit dans un français aussi peu académique qu’on l’imagine à considerer les antécédents du bonhomme. Constructions syntaxiques quelques peu alambiquées pour former des phrases d’équilibriste, utilisation permanente ou quasi permanente du passé simple, pronoms ou adjectifs bizarrement placés, etc… Loin d’être illisible (on rentre dans le « jeu » au bout de la deuxième ou troisième page), cette langue au contraire n’est que poésie, parfaitement assumée d’ailleurs. Ce français dès plus surprenant n’est certainement pas le produit plus ou moins branque d’une maladresse à l’heure d’écrire dans une langue qui n’est pas la sienne. Au contraire, on se rend vite compte à quel point Wolfson se fiche comme de l’an quarante de la correction et de la belle langue. Il maintient 300 pages durant le cap de cette écriture qui n’appartient qu’à lui et qui semble être seule à même de référer une expérience dont l’essence ne survivrait pas si elle devait passer par la moulinette d’un français plus conventionnel.
Bon, la langue, c’est bien beau, mais de quoi parle ce livre ? Comme son titre l’indique, il narre par le menu - aucunement avare de détails voire maladivement obsédé par le détail - la déchéance de la mère de l’auteur, victime terminale du cancer. Celle-ci a laissé une sorte de journal où elle a annoté au jour le jour toutes les opérations subies, les rayons, la chimiothérapie, les médicaments, les rendez vous à l’hôpital, etc… À partir de ce « canevas », Wolfson tisse le récit de la façon dont il a vécu – à travers le « fantôme » d’une mère de plus en plus cadavérique – cette longue et terrible descente vers une mort qui chaque jour se fait plus inéluctable. Soit, pour le lecteur, un an et demi dans la tête de Louis Wolfson qui, entre deux entrées du « journal » de sa mère, parle essentiellement de lui et de sa perception du monde.
J’entends déjà d’ici les commentaires : on ne doit pas rire à toutes les pages avec un bouquin pareil. Et pourtant… Le livre n’est pas exactement drôle, non. Mais il n’est pas non plus sordide. Tragique, oui, sans doute, mais parfois on rit aussi, quand même. C’est que Wolfson, se cachant en partie derrière son « personnage » de schizophrène maniaque du détail, approche le réel à travers une forme de pudeur toute personnelle qui prend l’apparence d’un miroir déformant, comme un voile d’étrangeté jeté sur l’expérience très douloureuse qui lui est donnée de vivre. Wolfson d’ailleurs, même s’il n’est pas avare de détails sur l’évolution de la maladie, aborde la plupart du temps les événements de biais. Quand il pratique l’attaque frontale, c’est avant tout pour vitupérer contre l’humanité (Wolfson est parano et surtout terriblement misanthrope), qui selon lui ne mériterait qu’une chose : la destruction pure et simple sous le feu atomique. Le reste du temps, il pratique une forme de mépris dès plus exacerbé, en premier lieu contre les membres du corps médical, docteurs, infirmières, leur maîtrise sujette à caution des techniques adéquates pour lutter contre l’avancée du cancer… Entre autres choses, le livre de Wolfson est une attaque en règle contre la médecine et les hôpitaux, un univers que l’auteur a du mal à voir autrement que comme âpre au gain, manipulateur, menteur, tartuffe. Car sous une carapace insensible, Wolfson est évidemment touché en profondeur par ce qui arrive à sa mère, et il a beau se lancer dans une lecture frénétique de tous les ouvrages sur le cancer qui lui tombe sous la main (jamais en anglais bien sûr, mais en français, en allemand…), il se rend bien compte qu’il est impuissant et que les médecins – cette bande de filous – le sont aussi.
Il y a, bien entendu, en filigrane tout au long du texte, la relation ambiguë qu’entretient Wolfson avec sa mère, chez laquelle, à plus de quarante ans, il vit encore. Déclaré inapte au travail, et vivant en partie d’une allocation de l’état qu’il s’occupe consciencieusement de dilapider aux courses de chevaux (d’où pas mal d’ahurissantes pages sur les martingales délirantes qu’il ébauche, sur ses aventures lors de trajets en bus épiques jusqu’à des champs de courses perdus dans quelques banlieues new-yorkaises mal desservies), c’est semble t’il à sa mère qu’il doit plusieurs internements, électrochocs comprit. Mais ce rapport, qu’on devine oscillant entre dépendance et rejet, n’est jamais clairement exposé (contrairement aux permanentes expositions détaillées de multiples aspects à priori sans importances du quotidien). C’est une forme de pudeur qui s’exprime là, mais c’est aussi que l’enjeu du livre, n’en déplaise aux lacaniens de tous poils (le premier livre de Wolfson, Le schizo et les langues, avait été publié dans la collection « connaissance de l’inconscient ») n’est pas psychanalytique. On ne le lis pas poussé par une curiosité malsaine à rentrer dans la caboche d’un « fou ». D’abord parce que Wolfson est tout sauf fou, et surtout parce que ce que l’auteur nous propose ici c’est une expérience avant tout littéraire. Il ne propose pas – et c’est heureux – de compatir avec lui sur son drame. La compassion, de toute façon, ne fait probablement pas partie de son vocabulaire. Il suffira de constater comment tout le monde ici en prend pour son grade : juifs (Wolfson est juif, mais ne semble porter ni l’idée de la judéité, ni Israël ni le sionisme dans son cœur), noirs, médecins, commerçants, postiers… Il n’y va pas de main morte, au risque de choquer tous les biens pensant qui passeraient par là et qui ne comprendraient pas la logique de Wolfson, qui n’est certainement pas raciste, mais qui semble par contre incapable de pardonner la moindre faiblesse à qui que ce soit. D’autre part, mis de côté par la société, sans doute avons-nous affaire à un être ayant du mal à considérer bénévolement ce que l’organisation sociale implique de « rôles » dans les faits et gestes de chacun. Entier, à fleur de peau, très voir trop lucide, schizophrène, l’identité pour Wolfson est un terrain glissant et piégé. Il ne peut que se construire en opposition à tout.
Il y aurait tant à dire sur ce livre que cela excède les capacités d’accueil de ce modeste blog (personne n’a envie de lire des tartines sur internet). Je vais donc en rester là.
Pour finir, j’aimerais mettre en relation le livre de Wolfson avec un autre livre publié également chez Attila et qui semble t’il n’a pas reçut l’accueil qu’il méritait. Je veux parler du puissant Le désert et sa semence de Jorge Baron Bizza (Attila 2011 - traduction Robert & Denis Amutio), dans lequel on retrouve une même structure autobiographique, celle d’un auteur au chevet de sa mère – dans le cas de Baron Bizza, ce n’est pas le cancer mais l’interminable hospitalisation pour la reconstruction d’un visage défiguré à l’acide – et une approche similaire des liens complexe fils-mère, une même forme de pudeur face au récit de la douleur, etc. Il y aurait sans doute un intéressant travail à construire pour une lecture parallèle de ces deux livres. Je ne le ferais pas aujourd’hui, mais me permettrait pour commencer, de vous conseiller de les lires. Ce sont deux textes qui ne laissent certainement pas indifférents.