En ce dimanche, pour oublier la pluie et le mauvais temps, je vous propose un peu d'évasion. My Télé is rich! met en effet le cap vers un nouveau pays, et un continent où j'ai encore beaucoup à explorer : direction l'Amérique Latine, et plus précisément aujourd'hui, le Chili. Je vais vous parler d'une série hispanophone qui a constitué cette semaine mon premier contact télévisuel (réussi !) avec le petit écran chilien.
Prófugos (Fugitifs en français) est, à l'instar de Epitafios et de Capadocia, ses prédécesseurs plus connus, une série de HBO Latin America. Bénéficiant d'une réalisation notamment confiée au cinéaste chilien, Pablo Larrain (dont le dernier film, No, est sorti en France en mars dernier), et au vénézuélien Jonathan Jakubowicz, sa première saison a été diffusée à l'automne 2011 (du 3 septembre au 27 novembre). Elle compte 13 épisodes de 45 à 50 minutes environ. Une seconde saison a été commandée, et a d'ores et déjà été tournée, prenant la suite des évènements relatés dans la première.
Série d'action mettant en scène des trafiquants de drogue, Prófugos est une fiction musclée, empruntant à l'occasion au road movie en traversant un pays sur lequel plane encore l'ombre de la dictature. Elle rassemblait donc sur le papier beaucoup d'éléments que j'apprécie ; et le résultat n'aura pas déçu mes attentes.
Prófugos s'ouvre sur l'organisation d'un transfert de cocaïne, de la frontière bolivienne jusqu'à un port chilien, afin d'embarquer la drogue pour l'Europe. L'opération, conduite par le cartel Ferragut dont la matriarche, Kika, dirige toutes les affaires depuis une prison, a été confiée au fils de cette dernière, Vicente, accompagné de trois mercenaires censés sécuriser le convoi. Le transfert de Bolivie jusqu'au Chili se déroule à merveille, peut-être même trop bien, mais tout dérape au moment d'embarquer la marchandise sur le bâteau. Renseignée par une source interne, la police débarque sur le lieu d'échange. Puis des tireurs embusqués inconnus déclenchent une fusillade qui transforme la scène de crime en véritable carnage. Les quatre trafiquants travaillant pour Kika Ferragut parviennent à s'échapper dans la confusion, mais perdent tout : l'argent et la drogue transportée. Ils sont contraints de s'enfuir, tandis que les autorités les désignent comme responsables du bain de sang qui vient d'avoir lieu.
Traqués par des hommes d'autres cartels rivaux et par les forces de l'ordre, ignorant ce qui a bien pu se produire, ils doivent s'allier pour survivre, même s'ils n'ont rien en commun, les tensions entre eux menaçant à tout moment de déraper. Vicente est un vétérinaire qui rêve de partir aux Etats-Unis, n'ayant jamais semblé taillé pour les affaires mafieuses de sa famille. Les deux mercenaires expérimentés sur lesquels il doit s'appuyer représentent les deux versants les plus antagonistes de l'histoire chilienne : Oscar Salamanca est un ancien révolutionnaire qui a pris les armes contre la dictature de Pinochet, tandis que Mario Moreno a lui servi le régime militaire. Quant au dernier homme de main, Tegui Gonzalez, il travaille pour la famille Ferragut depuis moins longtemps. Mais il est surtout un policier infiltré, dont le vrai nom est Álvaro Parraguez : il est celui qui a transmis l'information du lieu de la rencontre. Devenus les quatre hommes les plus recherchés du Chili, ils se lancent dans une fuite à travers le pays pour tenter de survivre, face aux assassins mafieux et à des autorités gangrénées par la corruption au sein desquelles nul ne sait à qui faire confiance.
Prófugos nous entraîne dans une vaste course-poursuite létale dans tout le Chili, entre guerres de cartels, vengeances personnelles et traques sans répit menées par les forces de l'ordre. Fiction entièrement feuilletonnante, elle ne correspond aux genres les plus répandus dans le petit écran chilien : il s'agit en effet d'une série d'action, résolument musclée. Elle ne manque ni de fusillades, ni d'éclats de violence, notamment des passages de tortures ou d'exécutions sommaires parfois difficilement soutenables. Elle met tout simplement en scène une lutte à mort, dépeignant sans complaisance, ni la moindre concession, un milieu impitoyable, celui des trafiquants de drogue, le tout se déroulant dans une société marquée par un passé de dictature sur laquelle pèse toujours bien des démons. Relatant une fuite en avant pour la survie, l'histoire adopte un rythme narratif prenant, ne tergiversant pas, et n'hésitant pas à redistribuer les cartes entre les différents camps. Au cours de la saison, le récit sera capable plusieurs orientations différentes à mesure que les enjeux et les forces à l'oeuvre se préciseront.
A partir du moment où la situation échappe aux quatre protagonistes principaux lors de la fusillade sur le port, Prófugos devient une série très explosive, qui va se construire sur des dynamiques relationnelles extrêmement mouvantes et des rapports de force permanents. Elle met en scène de fragiles alliances de circonstances, des trahisons préméditées ou provoquées par les évènements, et des double-jeux constants. Les obédiences et les motivations de chacun restent longtemps à définir au sein des membres du cartel Ferragut, mais aussi des forces de l'ordre qui les traquent. Fiction nerveuse et paranoïaque, cette série est peuplée de personnages dangereux qui suivent leurs propres agendas. Au fil de la saison, elle les entraîne toujours plus loin dans des voies sans retour dont nul ne ressortira indemme. En dépit de quelques raccourcis, la narration a le mérite de parvenir à garder globalement le contrôle de tous ses développements : sans lésiner sur le spectaculaire, elle évite la surenchère facile dans le registre de l'action. Tout en s'offrant quelques passages au suspense très réussi, la série maintiendra une tension efficace de bout en bout, jusqu'aux ultimes rebondissements des dernières minutes de la saison.
Pour autant, si Prófugos sait impliquer si fortement le téléspectateur dans son récit, c'est aussi parce qu'elle va très bien jouer sur l'ambivalence de ses quatre protagonistes principaux. Ils forment un groupe de fugitifs complexe, que rien ne prédisposait à voir travailler ensemble. Tout paraît en effet opposer ces figures qui ont chacune plus d'un secret, une histoire passée qui les ont façonnées et des principes ou convictions avec lesquels elles n'entendent pas transiger. S'ils sont forcés de s'unir contre ceux qui veulent leur mort, l'alliance qui se forme est extrêmement volatile, menaçant à tout moment de dégénérer pour le pire. Il s'ensuit donc une dynamique interne au groupe très dangereuse, renforçant ainsi la tension d'ensemble d'une série qui n'en manque déjà pas et troublant un peu plus la donne. Le risque d'explosion est d'autant plus palpable que se trouvent parmi eux des hommes endurcis qui n'hésitent pas à commettre sans sourciller des actes insoutenables. En dépit de quelques schémas répétitifs sur la fin, l'ensemble fonctionne : le téléspectateur en est réduit à constamment douter et à s'interroger sur ce qui déterminera et maintiendra la loyauté des uns et des autres, dans cette spirale infernale dans laquelle ils ont été, malgré eux, projetés ensemble.
Outre une histoire prenante, Prófugos a aussi le mérite de vouloir proposer une véritable immersion dans ce Chili au sein duquel elle se déroule. La série profite de la fuite relatée, qui lui fait traverser tout le pays, pour prendre à l'occasion des allures de road movie, entraînant le téléspectateur dans des paysages à part, des déserts arides aux sommets enneigés, des grandes villes aux plateaux à la végétation dense, éloignés de toute civilisation. Pour autant, elle est plus qu'une simple carte postale dépaysante, s'attachant aussi à parler de la société chilienne actuelle, revenant sur son passé et s'interrogeant sur son présent. Tout en révélant les fantômes persistants et les blessures non cicatrisées de la dictature militaire de Pinochet, elle met aussi en scène un pays sur lequel plane l'ombre des narcotrafiquants. A travers toutes les confrontations dépeintes, elle présente un Etat qui entend réussir à faire face et à ne pas sombrer dans une lutte engagée contre des cartels de drogue puissants et lourdement armés, qui ont les moyens d'ébranler les fondations de sa démocratie.
Solide sur le fond, Prófugos bénéficie également d'une forme soignée. La réalisation est maîtrisée, tenant très bien la route dans le registre d'action investi, avec une caméra qui reste toujours nerveuse, sans tomber dans l'excès. On pourra peut-être discuter quelques-uns de ses choix, comme celui des flashbacks en noir et blanc de scènes déjà passées, ou encore des fusillades à la mise en scène perfectible, mais l'ensemble est convaincant et de bonne qualité. De plus, la série a aussi l'opportunité de nous entraîner dans un périple à travers le Chili que la caméra va vraiment prendre le temps de mettre en valeur, avec beaucoup de vues en hauteur, quelques time-lapses inspirés et plus généralement des cadres larges qui prennent la mesure du décor proposé : du désert d'Atacama au nord du pays à la Cordillère des Andes, en passant par les grandes villes, jusqu'aux réserves indiennes isolées, Prófugos bénéficie d'un paysage magnifique. Enfin, il faut noter une ambiance musicale également bien dosée. La bande-son est riche, entre thèmes instrumentaux et quelques chansons, notamment pour conclure chaque épisode, qui accompagnent bien la tonalité de l'ensemble (cf. la 3e vidéo ci-dessous).
Enfin, Prófugos bénéficie d'un casting homogène, réunissant à l'écran quelques figures expérimentées du petit écran chilien. Néstor Cantillana (Los Archivos del Cardenal, Peleles) interprète Vicente Ferragut, aspirant héritier que rien n'avait préparé à faire face à un tel fiasco. Francisco Reyes (Dónde está Elisa?, Conde Vrolok, El laberinto de Alicia, Pobre Rico) incarne le révolutionnaire Salamanca, et Luis Gnecco (Brujas, Papi Ricky, Soltera Otra Vez), l'ancien membre de la police de la dictature chilienne. Benjamin Vicuña (Héroes, Huaiquimán y Tolosa, Los simuladores, La dueña) joue quant à lui Tegui, le policier infiltré auquel la situation échappe tout autant. A leurs côtés, on retrouve notamment Marcelo Alonso, en responsable corrompu des forces de l'ordre, Aline Küppenheim en assistante du procureur qui essaie de mettre de l'ordre dans ce chaos, Camila Hirane en adolescente qui va perdre son innocence, propulsée dans cette chasse à l'homme à cause de son père, Luis Dubo, chef d'un cartel rival décidé à en finir avec les Ferragut, ou encore Blanca Lewin, avocate et surtout fille de Kika Ferragut, cette dernière étant incarnée par Claudia di Girolamo.
Bilan : Série d'action, violente et explosive, Prófugos est une fiction feuilletonnante, prenante et vite addictive. Entraînant le téléspectateur dans le sillage de quatre fugitifs qui vont tout faire pour tenter de rester en vie, elle se révèle convaincante dans un registre à suspense efficacement conduit de bout en bout. De plus, elle propose aussi une véritable immersion chilienne, à la fois dépaysante grâce aux décors proposés, et éclairante sur la société actuelle du pays, entre échos de la dictature et luttes contre les narcotrafiquants. Plus encore que la brésilienne Cidade dos homens qui se situait dans un registre très différent, je me dis que Prófugos est peut-être le déclic que j'attendais vers le petit écran d'Amérique Latine, et surtout cette fois-ci, vers la partie hispanophone de ce continent.
En résumé, Prófugos est une série que je recommande à tous sériephiles ayant une inclinaison pour les fictions de gangsters, pour les histoires chargées d'ambivalence et de suspense, ou pour ceux qui ont un penchant pour l'évasion dans le magnifique décor offert par les paysages chiliens. Pour les curieux, notez que cette série est disponible en version originale sous-titrée anglais.
Pour ce qui est de la suite [SPOILERS], sachez que la saison 2 est annoncée comme prenant la suite directe de cette première saison, débutant par deux storylines : l'une mettant en scène l'incarcération en prison des protagonistes arrêtés en fin de saison, tandis que l'autre devrait nous raconter ce que devient l'argent de la famille Ferragut.
NOTE : 7,75/10
La bande-annonce de la série :
Le générique de la série :
BONUS - Une des chansons principales de l'OST ("Antes que", par Camila Moreno) :