Depuis sa colère devant les combinaisons qui la privaient de sa victoire en 2008, jusqu’à ses larmes en 2011 après une fourberie qui achevait sa relégation, on se doutait bien que les revers et les signes d’abattement ne suffiraient pas à tarir l’énergie de cette femme de caractère. Et voici en effet qu’un ouvrage au titre stimulant remet sous les projecteurs le visage et la voix de Ségolène Royal.
Cette belle idée du courage est un livre de la résilience, du refus de l’abandon, de l’invitation au sursaut, pour elle-même sans doute, mais surtout pour nos compatriotes accablés en ces temps de grand doute, et plus généralement pour tous les malmenés de la vie : « L’idée de ce livre est née de la question que m’ont tant de fois posée des proches comme des inconnus, des militants et des citoyens : ‘Comment faites-vous pour continuer, malgré tout ?’ et j’ai pensé que ce travail de mémoire sur les sources du courage pouvait servir à d’autres. » Oui, il en faut, du courage, à tant de gens, pour surmonter « cette impression d’amputation dans les ruptures affectives, la cassure due à la perte d’un emploi, en encore ce sentiment de diminution sans retour causé par la maladie ou le décès d’un être cher. »
Son éloge de tous les courages - celui de dire non, de résister à la peur, à la torture, de bousculer les conformismes, de ne pas céder aux pressions diverses - l’auteur le morcelle en une vingtaine de chapitres : autant d’exemples puisés aux décennies récentes ou à l’histoire, non pas en pesantes biographies mais en coups d’éclairage vigoureusement lancés sur les actes clés d’hommes et de femmes célèbres ou non. Ceux que Mme Royal a rencontrés dans l’exercice de ses responsabilités ministérielles ou régionales, de Neslon Mandela à sœur Emmanuelle, de Lula à Stéphane Hessel, d’Aimé Césaire à François Mitterrand ; mais aussi quelques figures historiques de son panthéon personnel, de Louise Michèle à Jeanne d’Arc, de Jean Jaurès à Franklin Roosevelt ; ou même des anonymes, ouvriers et ouvrières terrassés par les jeux de la finance mais qui retrouvent dans la gestion collective les chemins de la dignité.
Beaucoup de femmes dans ce florilège d’exemplarité. Leyla Zana, députée kurde jetée dans les geôles turques et que Ségolène Royal, mandatée par Mitterrand, est allée soutenir à Ankara ; Dilma Rousseff, actuelle présidente du Brésil après Lula, triomphant elle aussi de la souffrance pour poursuivre l’œuvre émancipatrice de son prédécesseur ; sœur Emmanuelle, « chrétienne fervente » mais « jamais sectaire » et « rétive à toute forme de domination masculine » ; Louise Michèle, admirable de bout en bout, et joyeuse toujours, jusqu’en Nouvelle-Calédonie où l’envoie croupir une République encore mysogine à l’heure même où elle rapatrie Victor Hugo ; Olympe de Gouges, guillotinée en 1793 pour avoir voulu que les droits de l’homme soient aussi ceux de la femme, et dont Mme Royal demande l’entrée au Panthéon ; Jeanne d’Arc la résistante, qu’on ne doit surtout pas « laisser aux mains des nationalistes ». L’auteur bien sûr s’inclut dans le combat féministe. « Pourquoi continuer ? se demande-t-elle en introduction. Parce qu’ayant transgressé l’interdit implicite qui barre aux femmes l’accès aux plus hautes fonctions, je ne veux pas qu’on dise à toutes les femmes et à toutes les petites filles : tu vois, reste à ta place, elle a voulu outrepasser la sienne mais elle n’était qu’un accident de l’Histoire. »
On aimerait multiplier les citations de ce livre simple et noble à l’instar des figures qu’il nous offre en modèles. Sobrement, parfois avec un lyrisme sans emphase, comme pour parler d’Ariane Mnouchkine ou des mères argentines de la place de Mai ; parfois dans la chaleur de l’indignation contenue avec peine, comme au rappel de sa citation en justice pour prix de sa lutte de ministre contre les horreurs du bizutage et la lâcheté qui les couvre, l’auteur convoque à notre chevet de mélancolie toutes les figures de confiance et d’espoir qui nourrissent sa propre énergie, pour cette leçon universelle qui est le fil rouge de l’ouvrage : le vrai, l’indomptable courage personnel, on le puise dans la passion de la justice et du service des autres.
Pourquoi (mais je m’en doute) maintient-on jusqu’ici à la marge de la scène politique française cette femme de rayonnement, de cœur et d’expérience, capable d’insuffler dans la grisaille ambiante un peu de passion et d’audace ? La présence ministérielle de Ségolène Royal réchaufferait l’âme populaire et rallierait sans doute à ce gouvernement des sympathies de tous bords. Quoi qu’il advienne, à la place que les circonstances lui donneront, en actes ou en paroles, l’auteur de Cette belle idée du courage peut continuer d’être utile.
ARION