Au Poche-Montparnasse, Virginie Pradal trouve un rôle à sa brillante démesure qui revêt pour l'occasion des couleurs inhabituelles, lui permettant de dévoiler l'ampleur d'un talent dont nous ne doutions pas mais que nous avions rarement eu l'occasion d'apprécier sous ce jour. Dans "Le Garçon Sort de l'Ombre", l'actrice s'empare en effet magistralement d'un personnage de femme névrosée, désespérée, basculant dans la folie totale, imaginé par Régis de Martrin Donos qui signe là un face à face mère-fils percutant, sombre, dérangeant et glaçant, minutieusement mis en scène par Jean-Marie Besset. A voir sans hésiter.
Dans une petite ville de la côte bretonne, une femme au chômage et son fils Jean, à quelques semaines du bac. Un père marin absent, un frère aîné délinquant. Elle, borderline, possessive, castratrice, presque incestueuse, rêve pour Jean d'études à Paris, d'une carrière qui les sortirait tous deux de la précarité. Lui a délaissé ses cahiers. Chaque nuit il fuit la mère pour la mer dans laquelle il libère son esprit depuis les hauteurs d'un phare, fréquente les alentours d'un cabaret où il croise filles de joie et mâles en quête d'aventures furtives. En proie au doute, torturé, il tente de s'émanciper, de cerner l'adulte qu'il devient, celui qui est en train de prendre le pas sur l'enfant qu'il est encore. Mais sa mère le laissera-t-elle "grandir" ? Rien n'est moins sûr.
Cette pièce que l'auteur composa alors qu'il n'était que dans sa vingt et unième année, usant d'un lyrisme puissant et d'une séduisante âpreté, évoque donc les difficultés à devenir soi-même, à couper le cordon, la fragilité de l'équilibre familial, si tant est qu'il existe, mais aussi l'acceptation de l'échec, le renoncement à un but fixé. En cinq tableaux concis, incisifs, Régis de Martrin Donos fait se croiser et s'affronter les aspirations d'un homme en devenir et les désillusions d'une femme niant l'insupportable réalité de sa vie ratée. Le choc se révèle violent.
Superbement terrifiante et pathétique, Virginie Pradal dévore, insatiable, sa partition le plateau et son partenaire, Sylvain Dieuaide, qui incarne sa progéniture. Mais le jeune comédien a du répondant, lui renvoie efficacement la balle. Poignant dans son mal-être, intense dans sa colère, il passe avec une infinie justesse par tous les états, insuffle tour à tour au personnage fragilité, juvénilité, force et maturité. Il semble avoir douze ans, puis vingt, avec la même authenticité. Chapeau. Autour d'eux Marc Arnaud en marin errant, et Sophie Lequenne (ou Chloé Oliveres), en prostituée, défendent chacun leur unique scène avec conviction.
Probablement jusqu'à la fin juillet.
Allez-y.
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Photo : Pascal Gely