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Qu’est ce qui confère aux critiques leur légitimité en Martinique et dans la Caraïbe?

Publié le 18 mai 2013 par Aicasc @aica_sc

Michèle Baj Strobel

La crédibilité vient de la capacité d’écoute que l’on manifeste à l’égard de l’artiste et de la justesse de ton partagée entre lui, le public. Elle est en dialogue permanent avec le labyrinthe des significations.

 Bruno Pédurand

En dehors d’une légitimité ontologique de l’art, je m’interroge souvent sur la légitimité avérée des pratiques artistiques dans des sociétés comme la nôtre. La légitimité de la critique artistique me semble alors plus qu’improbable à première vue. Souvent les critiques accompagnent leur travail théorique d’un travail de commissariat d’expositions qui vient conforter leur propos Chez nous ce n’est pas le cas et très souvent le travail du critique demeure essentiellement livresque.  C’est pour cela qu’il me semble que la mission  des critiques est peut être plus nécessaire qu’il n’y paraît. L’absence de grands débats sur l’art n’est pas propre à nos régions mais ici le silence est particulièrement assourdissant compte tenu de la nécessité qu’il y aurait à donner l’art les moyens d’être à la hauteur de sa mission première qui  à mon avis est de proposer des attitudes facilitant l’émergence d’une pensée voire d’une fonction critique. 

Suzanne Lampla

On est crédible à partir du moment où on a la confiance des artistes, je crois qu’ici on est très sensible sur ce point. On n’a pas les mêmes réactions d’une situation à l’autre, l’écoute reste très importante. On a quand même eu le bonheur d’écouter de bonnes prestations lors de certains événements, et un réel désir de partager chez les artistes.

Heureusement, à part des réactions d’irritation, les artistes ont confiance, et n’aiment pas l’indifférence autour de leur travail. Il ne faut surtout pas négliger le fait que beaucoup de ces artistes voyagent avec leurs œuvres, qui arrivent ou pas, les bagages se perdent parfois. Ils retiendront surtout l’accueil du public. Par contre une question trop agressive ou une réflexion trop brutale restera.

 ANO

A mes yeux la légitimité peut-être autoproclamée (imposée), produit d’une concertation et d’un projet ou encore tacite (personne n’y a réfléchi puisqu’il en a toujours été ainsi). Le seul fait de poser la question aux artistes souligne que la question  de la légitimité se pose et ne va pas de soi.  Pour ma part la légitimité du critique reste peut-être à penser et je m’en explique comme suit.

En première instance aux Antilles françaises la critique a véritablement émergée puis commencé sa calcification depuis peu, cela en grande partie grâce aux efforts assidus des universitaires.

L’autre versant de la médaille est que l’exercice critique est une activité profondément spécialisée, ciselée et travaillée par un discursif propre à une discipline universitaire héritée des modèles théologiques européens.  D’autre part l’université exerce un pouvoir factuel et concret : c’est le temple (sans jeu de mots) de la maitrise et de la validation des savoirs.

Pour reprendre à mon compte la pensée d’Annibal Quijano , aux Antilles notre modèle de légitimation tacite et “ FAC-tuel” du critique est presque intégralement basé sur le pouvoir que confère le modèle universitaire. Ce n’est ni un mal, ni un bien, mais un simple constat.

Cependant culturellement nous avons des lieux d’énonciation très peu usités et qui peuvent-être riche de promesses pour une compréhension plus située, plus fine de l’œuvre, par exemple que dirait un conteur d’une œuvre plastique s’il devait en faire l’éloge et en être le critique. Ce dernier a une connaissance esthétique si endémique, si intuitive que je salive d’avance de son regard agile tout en pirouette et en jeux de mots.

 Mais tout comme le racoon qui se ronge la patte pour échapper aux mâchoires d’un piège, cette question me force encore une fois à réinterroger ma connaissance des projets du critique et de la critique. Car connaissance veut dire littéralement “prendre le sens avec soi” et tout comme le conteur  ce serait pour l’artiste que je suis : “Prendre le sens avec ce que je suis”, “prendre le sens avec ma culture” (ne suis-je pas un nouveau type de conteur).   Ainsi donc comment le critique, qu’il soit natif de ma culture ou non prend ma culture et ce que je suis avec lui ?

Basma El Omari nous rappelle à ce sujet la déformation de l’image  d’une minorité (les Indiens autochtones du Québec) par les discours dominants non situés. Le drame absolu selon lui est que l’on a toujours parlé et continue de parler pour l’indien créant ainsi « une image virtuelle  véhiculée par l’imaginaire de l’Autre ». Pour paraphraser ce dernier je dirais qu’à mes yeux une bonne part de la légitimité du discours du critique en caraïbe vient du fait qu’il s’intéresse en priorité « à la représentation des [artistes antillais] par eux-mêmes, au désir des [artistes] d’être non pas un objet d’étude, mais un sujet qui exprime son identité ou même la perte de son identité. »  

 Pour en finir, deux définitions trônent dans mon dictionnaire de philosophie au mot légitime

1-Conforme à la loi idéale.

2-Fondés sur des principes reconnus.

Ces deux définitions engagent deux réalités différentes soit une qui serait conforme à un idéal commun, un projet utopique (d’être au plus près de ce que l’on est) et l’autre qui serait basée sur un état des lieux reconnus par tous et qui se passe de toute diarrhée verbale : « c’est comme cela un point c’est tout ».

Cela renvoie au sens profond du mot légitimation, qui dans sa racine latine est lié à la loi (lex) et donc au pouvoir. Comme nous le savons il existe bien des formes de pouvoir et de mon avis les différentes compréhensions de La politique permettent de situer les sphères de légitimations (il n’existe pas une critique en Caraïbes, mais des sphères critiques bien connues). Cependant nous sommes à un moment charnière ou certains critiques sont de plus en plus conscients du fait qu’ils manient des objets réflexifs extrêmement dangereux.

La question de la légitimité interroge invariablement un maillage de pouvoir ainsi que la place de celui qui la demande (place qu’il souhaite la plus dominante possible).

Si je ne suis pas dupe des jeux de pouvoir qui se joue dans cette question, il m’est cependant possible de résumer ma posture face à la légitimité du critique :

-La légitimité suppose une critique “idéale” qui me considère « non pas un objet d’étude, mais [comme] un sujet qui exprime son identité ou même la perte de son identité. »  

- La légitimité suppose une critique “idéale” qui ne tenterait pas de me séparer de mon œuvre en me muselant. Cela  dans le projet d’avoir un objet d’étude qui correspondrait à l’image qu’il a de l’œuvre.

-La légitimité suppose une critique “idéale” qui se droit lutter contre sa tendance naturelle à être le ventriloque de l’œuvre.

-La légitimité suppose une critique “idéale” qui a pour objectif de relever la “peripétia” soit l’inattendu des discours.

-La légitimité suppose une critique “idéale” qui a la conscience claire et enracinée d’être un conteur créole d’un nouveau type. Ce faisant il sait que sa construction est avant tout une fiction et préfère la sienne à tout autre.

Julie Bessard

Ce qui légitime le critique ici, ce n’est pas l’audimat mais en général les critiques eux-mêmes et les artistes qui leur demandent des papiers (quand ça se passe comme ça) ou qui les utilisent pour leur promotion.

Ici il n’y a pas de critiques liés à une direction éditoriale d’une émission ou d’un journal. Quand on écoute le" masque et la plume" par exemple on sait que x du journal z a telle position et pourquoi il l’affirme, le revendique et le défend avec conviction.

  La mission du critique:

Je pense qu’il y a deux rythmes, un lié à  expo en cours et un autre de fond où le critique approfondira sa recherche .

Un critique pour moi éclaire une oeuvre et la remet dans un contexte qui explique le chemin et la posture du moment pour l’artiste.

Il peut émettre des doutes(questions) sur la justesse de la piste empruntée ou la pertinence du résultat.

Je ne pense pas qu’un critique, s’il a une recherche puisse aborder de manière égale tous les mouvements, comme pour les galeries, il y a des domaines où son gout et sa compétence le rendent plus pertinent. Ici comme il n’y en a pas beaucoup, tout le monde parle de tout sans approfondir ni être spécialiste.

Le critique doit exercer autant le regard sur les artistes que sur lui-même en se questionnant sur sa fonction et sa production en permanence(comme l’artiste).Le critique doit être dans l’écoute et non dans la proclamation de territoire et la quête de légitimation. Pour moi, c’est un créateur, il doit trouver des voix ou plutôt les faire mieux entendre au public et parfois à l’artiste, voir lui ouvrir des voies. Mettre en lumière (même les zones d’ombre).

Je n’ai jamais lu ici de grands textes critiques comme ceux de Deleuze ou de Baudelaire qui illuminent ou détrônent les artistes. Bref, on a les critiques qu’on mérite.

Le métier, la fonction , le statut de critique se fait pour un public; En Caraïbe, il est dispersé, diffus, rare.(peu de journaux, peu de débats ouverts, peu d’humour).

Il y a néanmoins un travail régulier de lecture des oeuvres et d’hypothèses fait par des enseignants, des auteurs et parfois des artistes.

Dans la plus part des cas, c’est laudatif .le contraire exposerait l’auteur à des représailles souterraines. C’est la difficulté du petit pays et du lien individu/fonction artistique. C’est un travail très particulier et qui demande une grande indépendance.(journaux, institutions, galeries etc…)

Voilà quelques réflexions qui sont bien sur à discuter.

 Dominique Brebion

 Une relation de confiance entre artistes et critiques serait sans doute plus confortable et productive. Mais pour ce que me concerne,  la reconnaissance de mes pairs de la Caraïbe est bien réelle et cette légitimité me conforte souvent bien plus que tout le reste. Il est sans doute aussi probable que les artistes de Martinique ne perçoivent que partiellement le travail du réseau caribéen. Il y a quatre régions francophones au sein d’un ensemble  de trente- huit pays de la Caraïbe insulaire et soutenir l’intégration des artistes de Martinique dans le réseau caribéen est un véritable challenge. La plupart des publications, Small axe, Arte Sur, Arc, CaribinIntransit, Macomère, autrefois Artes en Santo Domingo, Calabash se font en anglais et en espagnol et sont donc peu lues, parfois même inconnues en Martinique. Mieux faire connaître la démarche artistique à travers ces revues ou sites me semble vital et c’est ce à quoi je m’emploie depuis de très nombreuses années. Ce travail de critique n’est pas une profession mais une passion désintéressée, une conviction qui ne se nourrit pas de l’éventuelle reconnaissance des artistes. Le partage avec mes pairs de la Caraïbe me semble très important. Et puis, que certains artistes qui mènent une recherche et une création sérieuses dans une certaine réserve, sans être en quête perpétuelle de médiatisation, acceptent de répondre à mes questions sur leur démarche est une preuve de confiance et une reconnaissance qui me touche toujours. Le privilège déjà exceptionnel d’approcher au plus près l’artiste et sa démarche au coeur de l’atelier est en soi la récompense.

 La critique est un acte de médiation qui a pour vocation de créer une passerelle entre une œuvre et le public afin de lui donner les clés  pour mieux l’apprivoiser et dialoguer avec elle. La critique prolonge l’œuvre et agit comme un espace de résonance. Critiquer, c’est- de mon point de vue -  contextualiser l’œuvre c’est çà dire, la situer dans l’ensemble de la démarche de son auteur et par rapport à d’autres œuvres, présentes ou passées. Parler de l’œuvre .En faire une analyse plastique et conceptuelle. Influences. Ressemblances. Sortir de la critique que je traite sans doute abusivement de critique «  impressionniste », qui consiste à faire part de son ressenti face à l’œuvre. Ne pas prendre non plus l’œuvre comme un prétexte à la création d’une autre œuvre personnelle littéraire ou poétique. Je dirai presque, savoir s’effacer devant l’oeuvre. Servir l’oeuvre.

 Une trop grande proximité nuit sans doute à l’exercice critique car la  remise en question et la franchise  peuvent être vécues par les artistes ou porteurs de projets comme une agression, ce  qui peut  contraindre  le critique à  se cantonner à  de l’information brute et soft, à éviter d’évoquer   ce qui lui  semble moins intéressant ou plus discutable. On développe ainsi une critique «  en creux », on n’évoque pas ce qui paraît moins abouti ou moins intéressant. Comment concilier proximité, rigueur, liberté de pensée et d’expression ?

 Si l’on admet qu’une œuvre est un dialogue entre le récepteur et le message de l’émetteur, rien d’étonnant à ce que les positions critiques divergent. De leur croisement et confrontation, émerge une vision plurielle et toujours enrichissante.

 


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