Giuseppe Penone: trois expos sinon rien

Par Jsbg @JSBGblog

Les protagonistes de l’Arte povera sont à l’honneur cet été : Michelangelo Pistoletto est au Louvre avec «Année 1. Le paradis sur terre», pendant que Giuseppe Penone (*1947, Garessio/I) occupe les jardins de Versailles ou expose ses photographies aux Rencontres internationales de photographie d’Arles ; en Suisse, c’est le Kunstmuseum de Bâle qui avait ouvert les feux fin 2012 avec l’exposition de la collection allemande Goetz «Arte Povera. Une révolution artistique» (jusqu’au 3 février 2013), tandis que le Kunstmuseum de Winterthur commençait l’année avec « Luciano Fabro. 100 disegni » et «Giovanni Anselmo», avant d’ouvrir  les salles de son extension moderne fin avril à « Giuseppe Penone ». JSBG y était pour vous en avant-première. Compte-rendu.

L’Arte povera – étiquette théorique apposée sur un groupe d’artistes par le critique d’art italien Germano Celant en 1967 –, c’est avant tout une communauté d’artistes, regroupée autour de la galerie Sperone à Turin, qui à la fin des années 1960 s’inscrit en rupture avec la société de consommation et le système de l’industrie culturelle ; matières primaires et matériaux «pauvres» (terre, éléments végétaux ou minéraux, mais également chiffons, etc.), formes élémentaires et la volonté d’échapper à la représentation sont les dénominateurs communs de leurs recherches artistiques. À l’opposé des manifestes et théories qui ont souvent fondés les groupes et mouvements de l’art au XXe siècle, l’Arte povera est une attitude, une pensée, contestataire et anti-moderne. L’aventure tourne court avant le milieu des années 1970, chaque individualité poursuivant sa propre voie en toute liberté et autonomie.

L’œuvre de Giuseppe Penone (*1947) est profondément marquée par la question du temps : l’empreinte, la mémoire, une réflexion sur les différentes temporalités de l’homme et de la nature, de l’animal et du végétal. Son terrain est la nature ;  c’est dans la forêt de Garessio, dans son village natal, qu’il a réalisé ses premières œuvres, «Alpi Marittime. Continuerà a crescere tranne che in quel punto», où il fige son action d’empoigner un arbre en fixant un moulage en bronze de sa propre main au même endroit où il est intervenu physiquement (à découvrir en vidéo ici). Son travail est une recherche de l’organique, de l’essence des choses et son approche est à la fois directe, symbolique et profondément rationnelle.

L’exposition de Winterthur parcourt l’œuvre de l’artiste de 1968 à 2005 sur un classique mode thématique : le temps, l’empreinte, les sens, le corps, le souffle et la matière fluide (eau, bronze). Une «salle des dessins» constitue le noyau de l’exposition, votre point de départ – et votre point de chute à la fin de la visite, car vous constaterez alors comment votre approche aura changé et votre perspective se sera enrichie. Les dessins, tantôt programmatiques, diagrammatiques, tantôt notes de projet ou formes fluides, constituent votre première immersion dans l’univers de Penone et dans la grande variété de ses formes d’expression. Vous serez ensuite confrontés dans la première salle avec une œuvre iconique de l’artiste « Albero di 4 metri » (1974), dont la première version remonte à 1968, mettant à nu le tronc au cœur de toute planche de bois : l’artiste sculpte la vie dans le corps végétal mort, l’art donne un nouveau souffle à la nature. Le souffle justement est le geste créateur originelle, l’essence de la vie, vous le retrouverez dans « Soffio 3 » (1978), sorte d’amphore de terre cuite qui conserve l’empreinte du corps et du souffle de l’artiste, ou dans « Albero d’acqua et soffio di foglie » (1980), où l’eau devient sève montante et donne naissance à une feuille de bronze. Nature et culture, minéral et végétal, organique et géométrique, essence et métamorphose…l’artiste cultive les paradoxes en son jardin mythologique : «Avec les ‘Souffles’ sculptés, je voulais à nouveau réaliser quelque chose de mythique. Rendre solide ce qui est immatériel, comme le souffle, c’est une contradiction, et la contradiction est toujours un élément excitant qui stimule l’imagination.»  Votre promenade sollicitera vos sens : de la vue – avec le réseau de nervures géantes d’une paupière droite dessinée à partir de l’empreinte de la peau agrandie et projetée au mur, s’étalant sur près de dix mètres («Palpebra (destra)», 1977) – et du toucher («Guanti», 1972), mais également votre odorat lorsque vous atteindrez cette très belle clairière, à mi-parcours de l’exposition, réunissant les deux toiles « Verde del Bosco » aux pigments végétaux, les courges de bronze («Zucche», 1978-1979), «I colori dei temporali» (1980-1987) et un «gesto vegetale» (1983-1996).

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«Quand l’œuvre est à l’intérieur, dans un musée ou une galerie, l’espace est connoté ; on sait que ce que l’on regarde est une œuvre d’art, située dans un moment historique précis. A l’extérieur, en revanche, l’œuvre, loin de tout contexte historique, entre en compétition avec des formes extraordinaires : les pierres d’un fleuve, un arbre, sont souvent plus intéressants qu’une sculpture.» (Giuseppe Penone, 2003) Dans les jardins de LeNôtre à Versailles, où il expose une vingtaine de travaux cet été, Penone trouve à la fois un contexte historique donné – une  architecture géométrique, une structure complexe où se multiplient les points de vue de ce grand architecte paysagiste du XVIIe siècle qu’est André LeNôtre, auteur également du jardin des Tuileries à Paris ou du parc du Château de Chantilly – tout en étant confronté à la nature végétale, à l’essence organique à l’origine de son travail artistique.

L’art de Penone se nourrit de sensibilité terrienne – il est fils de paysan – , de l’expérience physique et de références classiques,  comme les «Métamorphoses» d’Ovide, le mythe grec de Prométhée façonnant l’homme avec de l’eau et du limon et d’Athéna animant de son souffle la matière inerte, le souffle de vie de Yahvé, l’écologie de l’image de Léonard de Vinci ou la conception de la sculpture à la Renaissance – dont Michel-Ange est l’une des incarnations – selon laquelle le sculpteur libère la forme déjà contenue dans le matériau. Sa nature est poétique, parce que la poésie est contradictions et suscite par conséquent la réflexion (Giuseppe Penone, 2003), son oeuvre est « poësis » parce qu’elle rend le processus de la création visible, elle est action. Oups, pardonnez-moi chers lecteurs, je m’emballe un peu je crois… je divaguais dans les jardins de l’Olympe, avec dans les narines cette odeur familière et enivrante de l’herbe après la pluie en été… je ne saurais que trop vous inviter à tenter l’expérience par vous-mêmes, que ce soit à Winterthur ou autour de l’Allée Royale et du Bosquet de l’Etoile dans les jardins de Versailles par une belle journée estivale ou automnale, et nous reparlerons alors de nature et d’Olympe !

PS : Enfin, si vous êtes dans le Sud cet été, vous pourrez également découvrir la première rétrospective des photographies – photographies à part entière ou traces de performance – de Giuseppe Penone dans le cadre des incontournables Rencontres internationales de la photographie d’Arles.

Carole Haensler Huguet

INFOS PRATIQUES:

Giuseppe Penone

27 avril au 11 août 2013

Kunstmuseum Winterthur 

Museumstrasse 52, 8400 Winterthur, Suisse

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Giuseppe Penone à Versailles

11 juin 2013 au jeudi 31 octobre 2013

Château de Versailles 

Place d’armes, F-78000 Versailles, France

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Giuseppe Penone. Entre les lignes

1er juillet au 22 septembre 2013

Chapelle Saint-Martin-du-Méjan

Place Nina Berberova / Place Massillon, F-13200 Arles, France