Genpin

Par Kinopitheque12

Naomi Kawase, 2010 (Japon)

Ça commence comme dans un film de Terrence Malick. Un mouvement de caméra sous la frondaison, de la lumière du ciel vers le sol. Un léger nuage de fumée, le feu et l’eau. Naomi Kawase revient aux éléments premiers pour commencer son sujet : l’accouchement naturel de femmes fuyant la ville et son stress, l’hôpital et ses contraintes, en forêt (près de la ville d’Okazaki) et sous l’œil bienveillant du docteur Yoshimura.

Genpin revêt plusieurs dimensions. Il fait d’abord le portrait de ces femmes, souvent touchantes, venues chercher les sensations les plus pures pour la venue au monde de leur enfant. On voit leur préparation très physique (tout le temps actives, elles cultivent la terre ou coupent du bois à la hache !). On assiste à leur accouchement. Le plus émouvant étant peut-être le regard du grand frère ou de la grande sœur (jamais très grand en vérité) sur le bébé tout chaud vite posé sur la mère.

Le documentaire fait ensuite le portrait du vieil obstétricien, le seul homme de la gynécée. Les sage-femmes l’appellent le « soliste », le « patron », écartent le terme de « dictateur ». Pour lui, l’obstétrique moderne est la source première des difficultés lors des accouchements. Yoshimura est convaincu de l’égarement de ses pairs, technophiles à l’excès. Mais la véritable différence, c’est que Yoshimura ne tente pas d’écarter la mort lors des accouchements. Il laisse décider la nature. On comprend donc la radicalité de sa philosophie, à laquelle d’ailleurs la réalisatrice n’adhère pas complètement.

Avec retenue, Genpin rentre aussi dans l’intimité du personnage. L’obstétricien s’avoue foutraque et égocentrique. A 78 ans, il se dit lui-même heureux et ne plus craindre la mort. Il semble devant un seuil à franchir, tout à la fois professionnel et personnel. Naomi Kawase nous laisse ainsi apprécier toute la complexité de celui qu’elle compare au dieu souriant des rizières. Un sourire que ne comprend pas forcément sa fille. Yoshimura dit qu’elle lui a procuré une joie immense quand elle est née, mais reconnaît aujourd’hui les difficultés éprouvées de leurs relations. Lors d’une scène étonnante (comment la caméra pouvait être là ?), sa fille lui dit qu’ « elle ne le hait pas » et qu’il ne la reverra pas avant longtemps.

Naomi Kawase a été adoptée et la question de la maternité ou plus généralement du lien parents-enfants est récurrente dans sa filmographie (en 2004, elle réalisait un court-métrage Naissance et maternité ou, pour prendre un autre exemple, la grossesse de Takumi est tout l’enjeu de Hanezu, en 2011). Sa caméra est à la recherche de réponses mais jamais l’ensemble ne se dépareille des mystères délicats. Dans le dvd édité par Potemkine (le 2 avril 2013), outre les liens intéressants qu’il établit entre Genpin et deux autres films aux sujets analogues (Regarde, elle a les yeux grands ouverts de Yann Le Masson, 1980 et Milestones de Robert Kramer, 1975), le critique Arnaud Hée établit une plaisante comparaison où Yoshimura, légèrement en retrait mais tout impliqué quand ces femmes donnent naissance à leur enfant, serait comme le réalisateur devant une scène en plein tournage, l’un et l’autre assistant les débuts d’une vie déjà aimée.


Critique réalisée pour Cinetrafic en mai 2013 (voir d’autres films japonais sur le site).