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Troisième soir, troisième spectacle. Après le récital de piano très réussi de Yefim Bronfman retour au lyrique avec Ariadne auf Naxos de Richard Strauss à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet.
Très intrigante proposition que celle de l’Athénée Théâtre. On lit que l’opéra en version concert est conçu par Maxime Pascal et Alphonse Cemin de l’ensemble Le Balcon et Benjamin Lazar.
Homme de théâtre, Benjamin Lazar travaille beaucoup en lien avec la musique, souvent concernant la période baroque. Sa sensibilité et son sens de la scène font mouche en général. Quant à Maxime Pascal et Alphonse Cemin l’un est le très dynamique directeur musical de l’ensemble Le Balcon et l’autre le pianiste de la formation. Cette dernière a une place à part dans l’univers des jeunes ensembles. Formé en 2008, Le Balcon se propose de redéfinir création et interprétation en travaillant notamment sur la sonorisation des instruments. La manière dont est composé l’ensemble est déjà avant-gardiste : compositeurs, chanteurs, musiciens ET ingénieurs du son. Très belle considération de la dimension technique et c’est plus que mérité. L’ensemble Le Balcon est en résidence à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet.
Richard Strauss est allemand. Comme Mozart avec Da Ponte, il collabore de manière très fructueuse avec un librettiste en particulier : Hugo von Hofmannsthal. C’est de ce travail qu’est né l’opéra Ariadne auf Naxos au début du XXème siècle. Strauss n’a aucun lien de parenté avec les très viennois Johann Strauss. Il est malheureusement célèbre pour son rapport étrange au nazisme. S’il est celui qui a décidé de défendre Stefan Zweig, il est aussi le compositeur de plusieurs œuvres du régime, et apparaît dans plusieurs manifestations de propagande.
Ariadne auf Naxos est une oeuvre ovni. Dans la forme surtout. En deux parties, un prologue et un acte. Le prologue se situe dans un riche appartement viennois dans lequel doit avoir lieu la représentation d’un opéra, Ariane à Naxos, sauf qu’une pièce de théâtre est subitement annoncée à la suite de l’opéra. Stupeur du compositeur, débat au sujet de l’ordre, retrait d’une partie des arias… la soirée continue dans la confusion et l’opéra commence finalement. Le seul acte d’Ariadne auf Naxos et donc l’opéra en lui-même qui prend place dans une pièce plus globale. L’opéra Ariane à Naxos est basé sur la mythologie grecque. Sauf qu’ici, le mythe se mélange à la parodie puisque dans l’opéra, se trouve les comédiens de la pièce prévue en même temps. Une comédie et un opéra tragique dans une même oeuvre. Tout le monde suit ? On est loin du "Il m’aime, je l’aime" au profit d’une véritable construction théâtrale et musicale. Nous n’en attendions pas moins de l’Athénée Théâtre Louis Jouvet, décidément très adepte de l’originalité.
Les musiciens et chanteurs arrivent sur scène. Tout le monde en jeans, baskets, polos… Sans être pouilleux, juste comme au quotidien. Simplicité affichée. Pourquoi pas. La scène est occupée par des praticables de différentes hauteurs, amusant, et surtout malin pour bien occuper l’espace. La salle est très remplie au moment de l’arrivée du jeune et beau chef Maxime Pascal. Très vite, on se rend compte que musicalement il n’y aura pas de fausses notes. La direction est piquante et vivante, simple et décidée. Par contre pour la mise en scène on est un peu déçu. Alors oui, le spectacle est un opéra en version concert mais le programme ajoute "version concert conçue par Benjamin Lazar, Maxime Pascal et Alphonse Cenin" et Benjamin Lazar est annoncé dans la distribution à la mise en scène. Tout ce beau monde aurait pu créer la surprise. On se demande un peu pourquoi Benjamin Lazar.
La soirée continue de bien se dérouler. C’est un vrai coup de jeune. Le prologue se termine en apothéose pour la chanteuse Anna Destrael, très applaudie, à juste titre. C’est donc au tour d’Ariane de monter sur scène. Et là c’est le vrai reproche que nous ferons à cette soirée. Les interventions d’Ariane sont un peu statiques, vocalement faibles. On s’ennuie. Mais qu’importe, nous découvrons Julie Fuchs dans le rôle de Zerbinette qui nous offre un moment formidable tout en sensualité et espièglerie. La mise en scène que nous trouvions un peu transparente, se colore de petite pointes de folie, les artistes se lâchent, le chef d’orchestre fait la pirouette, les lumières de salle s’affolent. L’oeuvre se révèle enfin à nous dans toute son ingéniosité et sa modernité. Richard Strauss traite les codes traditionnels avec une intelligence extraordinaire.
Le spectacle se termine sous des applaudissements très nourris. Toute la troupe mérite ce succès. Nous avons passé une excellente soire. Encore une fois, l’Athénée Théâtre Louis Jouvet a su faire preuve d’audace et de fraîcheur dans ses choix de programmation.
Vous vous souvenez ? Ce théâtre on vous l’a présenté.