Pour le véritable anniversaire de sa prise de fonction, jeudi 16 mai, François Hollande s'est (encore) frotté au jeu de la conférence de presse. Ministres assis à droite, journalistes devant et en rang, sur toute la profondeur du salon Murat, le président de la République s'est livré à l'exercice avec un plaisir palpable.
Il apparaît zen, souriant. Le ton est calme, sans provocation. Il y a quelques touches d'humour discret, sans insistance. La cravate bleue est rapidement de travers. Les journalistes sont évidemment nombreux. Bizarrement, Hollande semble presque ravi de pouvoir s'expliquer, comme si le propos direct et sans intermédiaire lui manquait. Les mots qui reviennent le plus souvent sont France, emplois, offensive, social(e), croissance, loi, ambition, entreprises, mouvement, simplification, réforme, confiance.
Sur le fond, la droite hurle, couine, et râle. Mais à gauche, ses autres opposants ne sont pas satisfaits ni convaincus sur quelques points centraux. Et pour deux raisons essentiels et prévisibles. Primo, la messe est dite. Certains ont basculé dans l'opposition et il en faudra davantage que quelques propos élyséens pour les retourner. C'est à eux de convaincre puisqu'ils ne trouvent plus rien à sauver d'un quinquennat qui ne fait que débuter. Secundo, Hollande, ce jeudi 16 mai, n'annonce aucun "changement de cap", la grande affaire qui passionne cette fameuse "gauche de la gauche" que Hollande qualifiera d'opposition quelque part dans son récit. D'autres attendaient que Hollande réussisse ses 60 engagements dès la première année. Certains pensent même qu'appliquer ses engagements serait en soi un changement de cap.
Verbatim et commentaires sur un exercice finalement lucide. Seuls les propos relatifs à la politique intérieure et européenne sont ici repris.
Evacuons l'anecdote qui agite le buzz politico-médiatique jusqu'au sommet du Parti de Gauche: "un remaniement, c'est possible, mais ce n'est pas aujourd'hui." Il y aussi cette autre "futilité" journalistique, une interrogation sur son contact de terrain avec les Français, comme si certains regrettaient les grands roadshows sarkozystes, il lâche avec le sourire: "je me déplace dans la rue sans que vous le sachiez, je rencontre des Français qui ne me disent pas que du bien."
Ce n'était pas une conférence pour convaincre mais pour expliquer.
Sur l'économie, Hollande assume ses réformes, même celles qui suscitent encore de
multiples critiques à gauche. D'abord sur le pacte de compétitivité, il
prononce l'expression honnie "l’allègement du coût du travail". Ensuite sur la "réforme du travail". Certes, il en soulignera les avancées. Mais aucun journaliste n'osera le questionner sur ce qui cloche.
Il évoque son déplacement de la veille à Bruxelles. La France est en récession, comme toute la zone euro, sauf l'Allemagne. Ses premiers mots agacent à gauche car: "Je me suis exprimé au nom d’un Etat qui a démontré sa crédibilité
budgétaire, d’un pays qui a amorcé le redressement de sa compétitivité
et qui a entrepris, par la négociation, la réforme du marché du travail." Mais il enchaîne vite sur un paysage financier européen enfin sorti des secousses spéculatives. Les problèmes sont ailleurs, Hollande reconnaît sa divergence avec l'Allemagne et fustige l'austérité:
"Ce qui frappe l’Europe, ce n’est pas la crise financière, c’est la
récession : récession provoquée par des politiques d’austérité ;
(...) récession qui menace jusqu’à
l’identité même de l’Europe."
A gauche, certains devraient applaudir. A droite, on reproche encore à Hollande une rigueur insuffisante. "Notre économie est à l’arrêt depuis 5 ans. Pas depuis 6 mois, pas depuis 1 an : depuis 2008." Pourquoi faut-il rappeler ces évidences ? Parce que certains, partout, ont la mémoire aussi courte que l'hypocrisie immense.
Son annonce vient dès le discours introductif: il propose à l'Union européenne une initiative en quatre volets: la création d'un gouvernement économique, avec un président désigné pour une "durée longue". Hollande fait du Sarkozy avec cette idée qui transcende pas mal de partis mais qui n'a jamais vu le jour. Ensuite, un "plan pour l’insertion des jeunes" en mobilisant immédiatement les 6 milliards d'euros du budget européen dédié à cela. Aussi, la création d'une "Communauté européenne de l’énergie destinée à coordonner tous les efforts pour les [énergies] renouvelables"; enfin, ... les euro-bonds, idée déjà proposée par Hollande, récusée par Sarkozy, refusée par Merkel. Les temps seraient-ils plus propices ?
Sur la réforme fiscale promise pendant la campagne, et notamment la fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, Hollande rappelle le rééquilibrage fiscal de l'automne dernier aux détriments des plus riches. Il plaide aussi que les écarts entre les deux impôts se réduisent à fur et à mesure que les niches fiscales sont détricotées, une tâche qu'il avoue n'avoir pas terminée. Plus tard, il confier espérer stabiliser le taux de prélèvements obligatoires sur les ménages: "plus il y aura d'économies à faire, moins il y
aura de prélèvement. L'idéal c'est de ne pas demander un prélèvement
supplémentaire en 2014. Sur la TVA nous en resterons là." Il rappelle aussi qu'il faut bien faire contribuer les plus riches au redressement de la branche familiale, déficitaire de 2 milliards annuels: "En modulant les prestations familiales en
faisant en sorte que familles les plus favorisées n'aient pas les mêmes
que les autres et en faisant des économies sur certaines prestations qui
n'ont pas les résultats escomptés." Et de toutes façons, imaginez donc qu'il ait annoncé une réforme fiscale, en sus de celle des retraites qu'il évoque brièvement. Qui croira que ce projet qui ne fut pas présenté n'aurait pas déclenché scepticisme et railleries des habituels critiques, de gauche comme de droite ?
Sur la réforme constitutionnelle, sa réponse est claire. Qu'elle que soit son ampleur - que Hollande aimerait large - il lui faut rappeler la règle républicaine que d'aucuns oublient bien facilement : "Là, je ne peux pas décider tout seul car ça
serait déjà fait. Je suis pour que ça aille vite. L'opposition dit
qu'elle s'opposera à toutes les révisions constitutionnelles. Nous
allons soumettre ces textes au Parlement mais il faut une majorité des
3/5èmes." Et il promet: "le texte sur l'indépendance de la justice sera présenté prochainement au parlement." Il ajoute, sur un point essentiel et régulièrement reproché depuis l'été dernier, le droit de vote des étrangers sera soumis au vote parlementaire après les municipales, "afin qu'il n'y ait aucun malentendu ni suspicion."
On le questionne sur son impopularité, la responsabilité qu'il s'en attribue. "Je suis président au pire moment. Je n'ignorais rien de la situation." Ou encore: "Je ne demande pas à être jugé sur des sondages. (...) Je n'ai pas pris la posture facile de ne rien faire." Il ne s'étonne ni ne critique les interpellations dont il a pu faire l'objet, notamment à Dijon: "j'ai même fait supprimer le délit d'offense au chef de l'Etat. Ce n'est
pas pour vous encourager à proférer des paroles désagréables." (sourires).
Lucide ?
Oui, à plusieurs reprises. "Tant que le chômage progressera, il sera difficile de redresser ma propre popularité." Plus tard, il complète, sur les 60 engagements, "pour le moment, nous sommes encore loin du compte". Mais "l'engagement le plus important, c'est la
baisse du chômage, l'amélioration de leur vie... Il y a des engagements
qui ne s'écrivent pas". Sur la violence du moment, "il n'y a qu'en France que le débat politique est aussi dur". Et de citer l'exemple d'Angela Merkel qui sera, comme lui, au 150ème anniversaire du SPD en Allemagne. En France, la récession est là, mais l'Allemagne a connu pire à la fin de 2012 (-0,6%). "Est-ce que je m'en félicite ? Non."
Un journaliste note que son discours dénote à gauche. Sur Twitter, Laurent Mauduit de Mediapart s'emballe ("Pas une inflexion! Pas un geste en direction du "peuple de gauche"! Rien! "): "Ce que je fais, la droite ne l'a pas fait. Je ne fais pas évoluer la gauche, je fais évoluer la France." Une gauche voudrait encore trouver la solution dans davantage de prélèvements (pour les retraites, contre les niches fiscales des entreprises, etc) plutôt que des économies qu'elle assimile à de l'austérité. La droite exige davantage d'économies plutôt que des impôts, qu'elle assimile à du matraquage dès lors qu'il s'agit de faire davantage contribuer les plus fortunés. La voie est étroite.
L'amnistie sociale, ce projet de loi voté au Sénat mais bloqué par le gouvernement à son passage à l'Assemblée, est un sujet chargé de polémique intra-gauche. Hollande temporise par le bon sens. Aurait-il menti à Mélenchon, "les yeux dans les yeux" ? Il livre sa réponse. "Par principe je ne suis pas favorable à
l'amnistie, parce qu'elle favorise certains et pas les autres. C'est
exact que M. Mélenchon m'avait présenté des situations. Pas besoin d'une loi pour cela."
Effectivement, il n'y a aucun "changement de cap". Hollande apparaît là comme pour expliquer, clarifier, prouver qu'il entend, témoigner qu'il comprend. Mais il n'infléchit pas. A gauche, certains seront déçus. Sur le pouvoir d'achat, Hollande répond ainsi par le rappel des quelques (maigres) mesures - allocations, etc - décidées depuis le début du quinquennat. "La meilleure façon d'augmenter le pouvoir d'achat, c'est de créer de l'emploi." Aucun journaliste n'évoque la situation des chômeurs en fin de droits, des "trop versés" réclamés par Pôle Emploi, des tentatives de suicides. Mais qui sont ces gens dans la salle ?
Pense-t-il à 2017 ? "Ce que je veux, c'est laisser une trace en 2017, pas une candidature."
"Le seul courage qui compte, c'est celui qui donne des résultats."
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