C’est l’épreuve la plus longue, la plus spectaculaire et la mieux dotée d’Auteuil. Une odyssée de panache et d’angoisse. Chaque mois de mai, la reine des courses d’obstacles parisiennes réunit les cracks, et couronne les efforts de toute une année... ou les décime.
Depuis 1874, le Grand Steeple-chase de Paris donne lieu à un couronnement éternel… ou à de sublimes déconfitures. Une épreuve de démesure, parmi les plus mythiques au monde : 5.800 mètres, 23 obstacles dont le monstrueux rail-ditch and fence, alias le juge de paix, -redouté de tous les obstacles puisqu’il nécessite un saut incroyable de 8 mètres de long. En 2010, tous les turfistes se souviennent avoir misés leur chemise sur Remember Rose, vainqueur de l’édition précédente, un géant aux reflets auburn monté par Christophe Pieux, la star des jockeys, l’homme aux 15 Cravaches d’or et aux 2000 victoires. Au final, on a frôlé l’émeute. Le starter a raté son départ, ou alors c’est le cheval qui s’est pris les sabots dans les élastiques… bref, Christophe Pieux est passé par la fenêtre avant que la course ne s’élance. Il est resté là, le cul dans l’herbe, ahuri, et la foule hystérique a regardé l’idole traverser la piste, à pied, tête baissée, pour assister à la course, seul, dans les vestiaires. Dimanche prochain, on nous prédit un combat sans merci, un véritable parcours attend les candidats au sacre. Avec un prix de €850.000, dont €382.500 pour le gagnant, la course du Gras Savoye Grand-Steeple Chase de Parisest la troisième course à obstacles la plus dotée au monde derrière le Grand National de Liverpool (Angleterre) et le Nakayama Grand Jump au Japon. Les meilleurs jockeys d'Obstacles et les plus remarquables chevaux seront sur la ligne de départ ce dimanche à Auteuil, prêts à se départager l'issue d'une compétition sportive sans précédents.
Guère plus loquaces que leur monture, ces jockeys d’obstacle signent leurs victoires d’un poing rageur et leurs décharges d’hôpital d’un air blasé. Ils chutent en moyenne une fois toutes les dix montes. Comme les chevaux de course, ce sont des soldats qui vont bravement au combat. Des hommes qui apprennent à encaisser des coups pour se relever et à vivre leur ivresse sous un manteau d’ascèse. Il y a des matins où l’un d’entre eux, sec comme un piquet d'acacia se réveille en ayant 2 kg à perdre avant midi. Au menu : sauna, bain chaud et footing avant d’enchaîner huit courses dans la journée. Sans rien manger au petit déjeuner ni au déjeuner. Ni même la veille, parfois… Enfourcher des pur-sang qui tirent sur la bride à vous en arracher les bras, chercher la brèche dans le grouillement du peloton quand les poumons vous brûlent, sans autre carburant que le mental, relève du sport extrême. Il n’y a que la fusion ardente avec l’animal pour vous faire oublier la litanie des petits matins à l’entraînement et les coups bas du métier. Si les dix premiers de la liste vivent très bien, les autres survivent. On peut porter la casaque des Wildenstein et se faire virer du jour au lendemain ou passer des ors d’Enghien à ceux de Nuillé-sur-Vicoin, dans la Mayenne. À chaque course, la roue tourne.
Il avait 11 ans quand il a vu son père chuter sur une rivière d’Auteuil, à la télévision. Sur le coup, le garçon n’a pas compris. Le lendemain, on lui apprend que papa est mort, la cage thoracique écrasée. Et il décide d’être jockey, comme on conjure une fatalité. Pour faire perdurer le nom, souffle le jeune homme, assis sur un banc d’Auteuil, le regard bien droit.
Christophe Pieux, le phénomène, imperméable au stress et aux années, réputé pour sa position d’équilibriste, les étriers chaussés très court, comme sur un pur-sang de plat. Personne ne peut l’imiter. Pieux a couru onze fois le Grand-Steeple avant de le gagner. Daniel Wildenstein, lui, a attendu soixante ans. Le pape des marchands d’art, le chef d’une lignée aujourd’hui dans la tourmente, qui avait tout raflé sur les hippodromes avec sa collection de cracks, de Peintre célèbre à Cocktail Jet, aurait donné ses Gauguin pour le Grand Steeple Chase de Paris. Jean-Paul Gallorini, qui aujourd’hui entraîne les chevaux de course de Bartabas, se revoit encore le jour où Wildenstein le convoque rue La Boétie, à Paris, car il cherche un entraîneur d’obstacle. Plateau d’argent, gants blancs, premier salon, deuxième salon. Derrière son bureau Louis XV, le vieux délivre son ordonnance: "Je vais vous envoyer trois chevaux… je n’ai qu'une chose à vous dire : sachez que j’ai horreur du ridicule. Vous pouvez disposer."
6h30. Ce matin, comme tous les matins, Gallorini, bottes aux pieds et casquette sur le crâne, surveille sa troupe à l’entraînement, au bord de la piste de Maisons-Laffitte (Yvelines). Le soleil caresse les superbes étendues gazonnées. D’un œil de diamantaire, il ausculte les tendons d’un grisou, s’enquiert du moral de cette jolie débutante aux mèches caramel, de la peur d'un apprenti terrorisé à l'idée de s’enquiller une ligne d’obstacles à fond de train… il en engueule trois autres. Un drôle de zozo, le Gallorini, qui parle cheval et peut faire d’une bête envoyée à la découpe un vainqueur d’Auteuil. C’est d’ailleurs comme ça qu’il a commencé, en allant chercher ses chevaux dans le box du boucher quand il n’avait pas un sou. Ce fils de rital qui se faisait traiter de tout, à l’école. Alors il parle aux chevaux comme il aurait voulu qu’on lui parle : "
J’ai toujours donné leur chance à ceux que l’homme étiquette comme mauvais, qui partent mal dans la vie". Il remporte son premier Grand Steeple en 1979 avec le minuscule Chinco, trou à l’épaule depuis que, jeune poulain, il fut blessé au pré… il offrira au vieux Wildenstein, avant sa mort, une mémorable victoire, avec KotkijetPresque toujours. Cette année, un cheval discret, sans noble ascendance, entraîné dans la Manche, revient au départ de la reine des épreuves. Polar Rochelais l’a remportée en 2010, alors qu’il aurait pu disparaître dans le peloton tellement il est petit. Aucun pronostiqueur n’avait pensé à lui. Sa mère est morte à la naissance. "C’est un cheval, affectueux" confie son entraîneur, Patrice Quinton, la voix enrouée d’émotion. "Si on m’avait dit un jour qu'il gagnerait le Grand-Steeple, où même les cracks se cassent les dents, je ne l’aurais jamais cru. Des chevaux et des hommes, et tout au bout les étoiles… ou la cendre."Les pur-sang et autre que pur-sang (AQPS) de 5 ans et plus, engagés dans le Gras Savoye Grand-Steeple Chase de Paris ont confirmé leurs aptitudes lors de précédentes épreuves. Cette course de Groupe1 -niveau le plus exigeant des courses- est considérée comme le temps fort de l'Obstacle au printemps pour les Steeple-Chasers. On ne gagne pas le Gras Savoye Grand-Steeple Chase de Paris, on gagne contre soi-même une course surhumaine. Un adjectif qui s’applique, en l’occurrence, aux chevaux qui la courent. Quant à ceux qui la remportent, ils gagnent en même temps leur place... au Panthéon des Champions.Fabrice GilInfos pratiques :Ouverture des grilles à partir de 12 heures Accès hippodrome d'AuteuilRoute des Lacs 75016 Pariswww.grandsteeple.com
Navettes gratuites depuis la Porte d'Auteuil (gare routière)Métro : Porte d'AuteuilBus : Porte d'Auteuil (PC1, 52, 123, 241)Voiture : Périphérique, sortie Porte d'AuteuilEntrée : €.8 € au profit de l'institut Pasteur - Gratuit pour les enfants