L'apocalypse racontée à Marie-Bernadette (P.-J. Toulet - 4ème jour)

Par Absolut'lit @absolute_lit

Dieu dit encore : « Que les eaux grouillent d'une foule d'êtres vivants, et que les oiseaux s'envolent dans le ciel au-dessus de la terre ! » Dieu créa les grands monstres marins et toutes les espèces d'animaux qui se faufilent et grouillent dans l'eau, de même que toutes les espèces d'oiseaux. Et il constata que c'était une bonne chose. (Gn 1,20-21)

Sauf que, ce jour-là, MB eut de bonnes raisons d'en douter :


« Je vis  une bête sortir de la mer. Elle avait dix cornes et sept têtes ; elle portait une couronne sur chacune de ses cornes, et des noms insultants pour Dieu étaient inscrits sur ses têtes. La bête que je vis ressemblait à un léopard, ses pattes étaient comme celles d'un ours et sa gueule comme celle d'un lion. »(*)
La bête tapie au fond du lac immobile en avait surgi, réduisant à néant le calme apparent. Dans un fracas assourdissant la tempête rugit, souleva d'immenses vagues d'écume et fit chavirer la frêle embarcation de Marie-Bernadette, peu habituée aux grands mouvements, quels qu'ils soient. Elle pensait revivre, en pire, bien sûr, l'épisode des fonds baptismaux.
Sur l'océan couleur de fer
Pleurait un chœur immense
Et ces longs cris dont la démence
Semble percer l'enfer.

Et pais la mort, et le silence
Montant comme un mur noir.
… Parfois au loin se laissait voir
Un feu qui se balance. (**)

On aurait dit une malédiction, un avertissement, une prémonition sur le long terme. Une prophétie qui se réalise..
« Sauve-moi, ô Dieu, car les eaux me sont entrées jusqu’à l’âme… Je suis entré dans l’abîme des eaux et le flot me submerge…Tire-moi du bourbier, que je n’enfonce, que j’échappe à mes adversaires, à l’abîme des eaux!
(***) » C'est ce que Marie-Bernadette aurait voulu hurler à Henri-Paul, elle aurait voulu chasser la bête, mais à vrai dire, elle était terrifiée.
Ce qui se tenait devant elle n'était pas Henri-Paul, n'était plus Henri-Paul. Son mari n'existait plus. Le démon avait pris possession de son âme et de sa chair. C'était l'apocalypse.

Elle ferma les yeux.

Quand elle les rouvrit, la bête était partie.

« Quand je pense que j'ai vécu trente ans avec elle sans me douter de rien, que nous avons partagé le même lit, que j'ai, deux fois par semaine, partagé mon intimité la plus profonde, que je l'ai nourrie de cailles farcies et de madeleines à l'anis, que j'ai pansé ses coupures, entretenu notre intérieur et nos intérieurs avec tant de ferveur... trente années sans rien voir de la bête qui attendait son heure »

C'est ainsi que Marie-Bernadette vécut le départ d'Henri-Paul. De toute façon il n'y a pas d'autre explication possible. Car la foi de Marie-Bernadette est indiscutable.

(* : extrait des textes de l'Apocalypse, 13;
 ** : Sur l'océan couleur de fer;
 *** : Ps 69 2-3.15 )