On pénètre en douceur dans un cinéma touchant, simple et dénué d’artifice. Ann Hui, réalise ici un film sobre et fort, mettant à nu une relation humaine en même temps qu’une situation de vie difficile à affronter. Peu connue à défaut en France, cette réalisatrice hong-kongaise, considérée comme permettant la promotion d’un renouveau du cinéma de son pays, est l’auteur d’une trentaine de films, dont peu sont parvenus en France, qui a retenu parmi sa production, son Song for Exil avec Maggie Cheung. Le regard d’Ann Hui est tendre et observe les choses avec justesse sans être intrusif.
Dans Une vie simple, elle montre le rapport particulier d’amour presque filial entre un quadragénaire et sa nourrice qui a servi sa famille durant près de soixante ans. Ah Tao toujours servi la famille Leung qui habite désormais aux Etats-Unis, elle ne s’occupe désormais plus que de leur fils, producteur de cinéma qui vit encore à Hong-Kong. D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Roger a toujours connu sa famille avec Ah Tao. Il a été gâté, chéri et servi par elle durant ces années. Dans l’existence de cette femme courageuse et travailleuse, il n’y a que lui qui importe. Elle le nourrit d’attentions et de mets préparés avec amour. Cuisinière émérite, elle mesure ses gestes, procède avec application dans le choix de ses ingrédients, maîtrise la préparation et ses astuces de cuisine, et sait tenir la maison. Roger est libre de s’adonner à sa vie, ne tenant pas tellement compte d’Ah Tao, qui fait partie des meubles. Jusqu’au jour où Ah Tao fait un infarctus. Pour elle, c’est les symptômes de la fin de sa vie.
Elle fait d’ailleurs référence à la grand-mère de Roger qui n’a pu se sortir d’une spirale d’infernale, avec des infarctus à répétition. Pour ne pas devenir un poids, elle demande à Roger de la placer en maison de retraite. Adoucissant pour lui la réalité des choses. La maison de repos est vétuste, les petites chambres ne sont séparées que par des rideaux, ne permettant pas de se couper des plaintes, des râles ou des paroles délirantes des autres patients. Cette situation inéluctable de vieillesse est montrée sans détour, et déclenche dans la vie des deux personnages, une inversion des rôles.
Désormais c’est Roger qui va s’arracher à son quotidien et se consacrer un peu à elle. Ann Hui procède avec discernement en montrant les choses simplement, sans en faire trop sur le sentiment de culpabilité et d’amour de Roger. Sans effusions, il reste présent aux côtés d’Ah Tao. C’est cette présence qui importe aux personnes en fin de vie, être accompagnée par une personne de confiance pour le reste de la route à faire.
Pour Ah Tao, c’est des situations nouvelles, un traitement de la famille qu’elle a servi qui change. Roger et ses amis se souviennent d’elle et de ce qu’elle était avant de l’appeler pour lui chanter une chanson de leur jeunesse, elle arrive en retour rien qu’à leurs voix à les nommer tous en évoquant un souvenir, puis la famille l’appelle des Etats-Unis pour les fêtes, la maman vient lui rendre visite et lui apporte des cadeaux. C’est trop d’attentions pour elle, trop de dépenses qui lui sont consacrées, elle se replace dans sa condition de servante.
Aussi pour ne pas trop en demander à la famille, qui est la sienne au sens propre aussi, elle se résout à la vie à la maison de repos, à la précarité de sa situation, aux occupations qui lui déplaisent ou aux occasions (comme les fêtes) qu’elle ne pourra partager avec personne. Ses choix nous renvoient à ceux que nous pourrions faire dans cette situation, la prise de conscience de l’échéance, et les gestes qui importent encore. Roger demande à Ah Tao de l’accompagner à une de ses soirées d’avant-première, et il demande en prière à Dieu un laps de temps supplémentaire pour que la vieille dame puisse connaitre son petit-fils. Il partage avec elle son univers, prend part à la vie de la maison de repos.
Dans la présentation des faits bruts, les sentiments d’amour, de crainte et de chagrin sont dépeint sans pathos ni exagération. C’est parce que les événements sont présentés tels qu’ils sont que l’émotion se transmet, que la salle réagit et que le film touche. Le récit de sa fin de vie ne laisse pas indifférent, mais Ah Tao a accepté son sort.
On en retient le propos central mais aussi les touches d’émotions, et de rires : les taquineries des deux personnages, la répartie d’Ah Tao, le fait que Roger soit toujours pris pour quelqu’un d’autre (le réparateur, un livreur etc…), et même le personnage fantasque de Monsieur Kin qui demande à tout le monde de lui « prêter » de l’argent pour le dépenser en plaisirs. Ah Tao calmera Roger d’un geste à ce propos en lui disant « qu’il en profite tant qu’il le peut encore ». C’est par tous ces aspects qu’Ann Hui nous fait entrer simplement dans les profondeurs de Hong Kong, et nous percevons avec elle la poésie de son regard sur les situations de vie comme sur sa ville.
A voir :
Une vie simple, un film Hong-Kongais d’Ann Hui (1h59)