Alors que la loi autorisant le mariage entre deux personnes de même sexe a été votée à l’Assemblée nationale le 23 avril (331 voix pour, 225 voix contre), les vert-de-gris choisissent le 26 mai pour redire tout le mal qu’ils pensent de l’égalité entre citoyens. La date est symbolique. En retenant le jour de la fête des Mères, Bigote Fradgir, décidemment sacrée mascotte inoxydable de la discrimination citoyenne, fait un clin d’œil à Pétain qui fit inscrire la fête des mères au calendrier. Les cathofachos vont parader au pas de l’ordre nouveau qui nourrit les fantasmes de remise au goût du jour du magister du parti religieux à la manœuvre au début de la Troisième République. Monseigneur Dupanloup fait rêver les cortèges de la Manif pour tous.
C’est dans les usages qu’une langue vit et assume son développement. Les locuteurs construisent pas à pas au gré des circonstances et des interactions les contours de la langue. Les exemples ne manquent pas où paires et couples jouent au chat et à la souris tout en évitant de jouer au papa et à la maman. Entre paires et couples, les locuteurs savent distinguer la nuance et trouver l’emploi juste pour chaque terme. La confusion quand elle s’installe nourrit les sarcasmes et provoque les rictus. Soit le couple dit franco-allemand, celui qui passe pour être le moteur de l’Europe. Ce couple là est constitué en réalité d’une paire de pays et conséquemment d’une paire de dirigeants. L’Histoire les a unis après qu’ils se furent combattus. Ce couple est rendu visible par de régulières rencontres. Il y eu le binôme Merkel/Sarkosy, dit Merkosy, assez finaud pour former un duo qui est passé de l’hostilité à la confiance. Le Nouvel Obs (24-04-2012) rapporte qu’en 2010, à l’issue d’une négociation qui s’éternise pour la Grèce, le président français lâche à sa comparse « Angela, en Europe, y a que toi et moi ». Il suffit d’un murmure et la paire devient couple. Il s’en est fallu d’un cheveu pour qu’il nous dise « Angela et moi, c’est du sérieux ». Cela n’avait pas précédemment empêché les mises au point vachardes vis à vis de Merkel découlant d’une attention de tous les instants de la part de Sarkosy « Elle dit qu'elle est au régime... et se ressert de fromage » http://elysee.blog.lemonde.fr/2011/10/22/les-europeens-entre-eux-a-propos-de-sarkozy-tu-me-dis-les-mechancetes-quil-a-dites-sur-moi-ou-cest-moi-qui-commence/ (22 10 2011). Ce qui montre que les couples savent palier le déficit de conversation. Fin de la lune mielleuse en 2012. Le Merkhollande n’a pas pris le relais. Seule permanence des relations franco-allemandes, le couple Hollande-Merkel s’embrasse de la même façon que le couple Sarkosy-Merkel sur le perron de l’Elysée. Ce qui tendrait à montrer que dans ce couple là, le partenaire compte peu. Deux font simplement une paire.
Mais le tandem franco-allemand n’est pas le seul exemple où le vocabulaire définit la qualité des relations entre les personnes. Quand il y a dissonance entre l’Elysée et Matignon, le couple exécutif (on se souvient de Chirac-Jospin) se trouve réduit à n’offrir au regard médiatique que le simulacre de l’union pour n’apparaître que comme une paire mal assortie. Cette paire là a vécu en cohabitation pendant cinq ans sans jamais s’unir. Qu’il était sincère le désamour entre les deux duettistes du couple dirigeant !
Plus prosaïquement, la langue commune parle d’une paire de tourterelles mais évoque un couple de tourtereaux. Cela nous ramène, une fois de plus, à la question des anges qui vont souvent par paires et non par couples. Dans ce billet, les anges sont évoqués une paire de fois. Au fait, les anges sont-ils sexués ? Dans l'affirmative, il est à craindre que l'information d'unions d’anges de même sexe finisse par arriver aux oreilles de la paire de dirigeants de la Manif pour tous. Au secours, un lot d’anges gays et des couples d'angelots !
Quand deux personnes s'unissent, ils forment un couple, mais si cette union se défait, elle donne lieu à deux personnes qui ne forment pas nécessairement une paire. Cela tend à montrer que si les deux mots sont équivalents sur le plan de l'évocation d'un nombre, ils ne sont pas de stricts synonymes. Cela ne veut pas dire que le couple est supérieur à la paire, mais tout simplement qu'il s'utilise autrement et ne sert pas à nommer les mêmes éléments. Sinon l'expression « je lui ai filé une paire de claques » pourrait être remplacée par « je l'ai gratifié d'un couple de claques », pas mal si on veut amuser la galerie mais impossible dans le cours normal d'une conversation.
« Mieux vaut une paire de mères qu'un père de merde », http://tempsreel.nouvelobs.com/mariage-gay-lesbienne/20121216.OBS2654/mariage-homo-mieux-vaut-une-paire-de-meres-qu-un-pere-de-merde.html proclamait une banderole brandie au cours d’un rassemblement en réaction à une Manif pour tous. Cette phrase à l’efficacité toute en assonances ne manqua pas de générer un nouvel argumentaire. Les vert-de-gris, et la passionaria qui les mène à la badine, (ce qui n’exclut pas un fond de soumission consentie chez les zélateurs de Bigote Fradgir) ont cru dénicher là une idée nouvelle qui les a éclairé le temps de l’extase portée par les mots. Ils tenaient là une vérité inédite. Les couples de même sexe seraient en fait des paires et de ce fait totalement impropres à prétendre revendiquer les droits de la citoyenneté. Et de clamer qu’ils sont favorables à ce que des paires puissent s’unir ce qui prouve que nous ne sommes pas homophobes, nous sommes même généreux avec ces personnes. Les penseurs de bistrot et les philosophes de fast-food apportent immédiatement leur grain de concept. Le couple fonctionne à l’amour, la paire à l’instinct. La paire, laissaient entendre les idéologues de l’amour missionnaire, est naturellement inférieure au couple. Ce débat, qu’ils ont adoré, à l’instar de celui, millénaire, consacré au sexe des anges, a égayé les soirées prières devant le Sénat puis devant l’Assemblée nationale.
Le vote autorisant le mariage pour tous ne met pas fin aux pitreries, boutineries et autres Gudades. Quand on a des idées, on les garde. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas, dit l’adage populaire. C’est que la civilisation est en danger, rabâchent une paire de cardinaux, parés de nobles dentelles et autres froufrous érotisés. C’est la porte ouverte à toutes les dérives, s’étouffent quelques paires de couples bien mis flanqués d’enfants qui vont par paires.
La manifestation annoncée pour le 26 mai a donné lieu à un visuel d’un autre temps affublé d’un jeu de mot douteux et plus qu’un tantinet réactionnaire. Prestement retiré, néanmoins. Les organisateurs de la Manif pour tous ont produit des paires et des paires de démentis. Pourtant, certains y ont pensé et ont réalisé l’affiche de trop. D’autres, ou les mêmes, l’ont faite circuler sur le Net. Le droit pour tous les citoyens met la civilisation en danger. Les valeurs morales vont voler en éclat. Ils n’arrêtent pas de le répéter. Maintenant, ils le prouvent.