Même les Suédois s’en foutent de l’Eurovision

Publié le 16 mai 2013 par Wtfru @romain_wtfru

Après leur victoire l’année dernière, les Suédois accueillent l’Eurovision dont la finale se déroulera samedi.

 La Suède, pays du design épuré, du raffinement esthétique, de la subtilité stylistique… et aussi pays de l’engouement populaire pour l’événement musical incontournable, défouloir annuel de mauvais goût artistique en Europe : l’Eurovision. De ABBA (1974) à Loreen (2012), l’histoire est longue entre ce pays et le concours de la chanson qui aura lieu cette année dans la troisième ville, Malmö. Peut-on parler pour autant d’histoire d’amour ? WTFRU étant un média d’investigation ayant l’ambition de nourrir son lecteur de vérités grâce à des hommes de terrain (prends garde, Mediapart), nous avons mené une enquête de fond sur place. Dans un langage plus clair et moins prétentieux, j’ai profité du fait d’être en Erasmus à Malmö pour évoquer le sujet avec des amis locaux.

Et contre toute attente, ce qui ressort dans leur opinion, c’est « personnellement je m’en fous ». Un peu comme tout le monde cela dit. Chacun pense «ça ne m’intéresse pas mais je vais regarder quand même ». Le résultat : plus de 125 millions de téléspectateurs chaque année. Qualifié de religion par certains, la plupart des jeunes se disent indifférents à ce genre d’événement. Pourtant les Suédois ont gagné 4 fois depuis la victoire d’ABBA en 1974 (En France, on sait pourquoi les gens ne sont pas fans : chaque année c’est la grosse taule. En même temps, comment rivaliser avec les autres en présentant Jessy Matador, Anggun ou Patricia Kaas…). Leur candidat est désigné à l’issue d’un concours national diffusé tous les vendredis soirs, le Melodifestivalen, une tradition ici. L’année passée, entre 4 et 5 millions de personnes (la moitié de la population) étaient devant leur télé pour regarder la victoire de Loreen.

Avec ses chansons standardisées, ses mélodies prévisibles et ses refrains stéréotypés, cette industrie musicale est largement contraire aux penchants des « Swedes », qui normalement ont du goût niveau artistique. Leur réussite dans le concours de la chanson n’est pas appréciée pour elle-même mais pour des raisons autres, peut-être pour se donner la sensation d’exister dans l’Europe.
Certes on ne peut pas nier que l’Eurovision est une des manifestations culturelles qui relie les nationalités européennes, au même titre que l’Euro de foot par exemple. Le temps d’une soirée, on se rend compte que des Portugais peuvent aussi chanter en Anglais ou qu’un Moldave peut devenir épique en faisant semblant de jouer du saxopohone avec un déhanché terrible. Tout est éphémère et superficiel, pas de guerres ni de famines. Le tout sous un magnifique slogan : « We are one ». C’est beau.

Enjeux économiques et opportunisme politique

Sauf qu’il ne faut pas oublier que c’est une compétition. On nous parle de l’identité européenne, surpassant les frontières et apaisant les querelles économiques. Quoi ? Grecs et Allemands seraient les meilleurs amis du monde lors d’une soirée pour se foutre sur la gueule le lendemain ?

Le plus grand intérêt est finalement assez local et touristique. On sent commencer l’effervescence deux semaines avant, et c’est l’occasion de créer des retombées économiques pour le pays organisateur et surtout la ville hôte, dans le cas présent Malmö et éventuellement Copenhague, distante de 30 minutes.

Plutôt qu’une voie vers l’identité européenne, l’Eurovision apparaît comme un moyen pour la Suède de modifier sa propre image, souvent trop accrochée à des stéréotypes. Récemment un pote me concédait que « en général les Suédois se sentent très européens et il souhaiteraient entendre parler d’eux plus souvent sans parler de Zlatan, Ikea et Volvo ».

En allant un peu plus loin, même si la distribution des points constitue un exemple démocratique où chaque pays a le même poids, aucune délégation n’oublie pour autant les enjeux diplomatiques à travers le vote. Les récentes victoires de l’Estonie, de la Lettonie ou de l’Ukraine ont coïncidé avec leur entrée dans l’UE au cours des années 2000, et témoignent d’un élargissement du champ du poids politique vers l’Est. En gagnant, un pays non seulement accueille et organise l’Eurovision l’année suivante, mais il montre qui est le patron.

Ce qu’il faut retenir c’est que l’Eurovision est plus un show télé qu’un événement artistique, et qu’en dépit du désastre musical qui s’y joue chaque année, les enjeux n’en restent pas moins importants. Un spectacle frivole qui ne peut être perçu au premier degré, et qui serait selon les mots du commentateur de la BBC Terry Wogan le symbole d’une « ironie post-moderne à son plus efficace ».