A J+moi, Une chronique en 10 ou 12 fragments... suite avant traduction, sans relecture.
Voila j’y étais. Des mois que je travaillais, et ça allait commencer. Près de six mois que j’étais plongé dans les dossiers. Maintenant, les sélections étaient derrière moi, j’allais enfin vivre l’aventure humaine que nous avions préparée avec tant de minutie. A ce moment la, avant l’arrivée des premiers participants, je suis sur le perron de la salle des fêtes d’Annequin, assis sur les marches de la petite place fleurie, mon regard donne sur la nationale qui traverse le village. Dans mon dos la salle des fêtes accolée à la Mairie baigne dans la lumière de cette fin de journée. Dans cette lumière, écrasé par le ciel si particulier du Bassin Minier pendant que j’attends, une voix intérieure m’interroge sur les choix qui ont été les nôtres. Alors que nous avons choisi un village du bassin minier, éloigné des infrastructures routières et aéroportuaires, à ce moment la, dans le coton intérieur, la petite voix me parvient et me dit que je suis fou. Pendant ces quelques instants qui précèdent le démarrage, la voix m’interroge sur les raisons de mon acharnement, elle me dit et, elle n’a pas tort, qu’à vouloir continuer contre vents et marées à faire du développement local, sur un territoire mal doté en solutions touristiques et d’hébergements, tout cela finira mal. Elle, la petite voix, me propulse dans la brume des questions, des doutes préalables à tous démarrage. Je lui réponds, qu’en faisant ces choix, certes audacieux, nous favorisions la réinjection des financements obtenus dans les circuits locaux plutôt que de faire vivre les grandes entreprises. Oui, nous avons favorisé l’emploi de chauffeurs et la location de véhicule (à notre partenaire de location habituel) ; oui , nous participerons à faire vivre hôtels, commerces ; oui, nous avons constitué, autour d'un chef professionnel, une équipe de cuisine,… Oui, cela nous coûte plus cher ! Le diable continuait , qu’est-ce qui peut vous pousser ainsi à vouloir dépasser vos limites ? Pourquoi vous retrouver toujours là où c’est le plus difficile, le plus complexe ? Dans les quartiers, les hôpitaux psychiatriques, les prisons, le trou du cul du monde, pourquoi ne pas choisir le fauteuil le plus confortable, pourquoi ajouter l’instabilité à l’instabilité ? Je lui répondais que cela faisait partie de ma nature, qu’à chaque fois en découvrant des recoins du monde, sous mon travail solitaire et acharné, c’est moi même que je découvrais. Mais le diable intérieur se met à rire en reprenant mes mots « vous assumez les risques, vous êtes justes.. » et il chantonne, chantonne "vous assumez les risque, tu assumes les risques, tu assumes...".
C’est à ce moment, à travers le coton enrobant l’esprit, que me parviennent les mots de Lydia, participante Française, première arrivée sur site. Emplissant mes poumons de la fumée de cigarette que je venais d’allumer, tout ce que je perçois est comme amorti par de la ouate, les paroles deviennent des rumeurs et j’ai du mal à différencier celles intérieures de celles extérieures. Je suis plein des rires du diable intérieur quand commencent d’arriver les voitures transportant les participants. Je faisais taire les rires du diable, j’avais devant moi une galerie d’humanités à laquelle il me faudrait tendre mes savoirs et avec laquelle il me faudrait vivre. Ce n’était pas une galerie des horreurs mais, je dois le dire maintenant, cet instant, s’il me tardait tant de le vivre, il m’angoissait aussi. Au dela des questions que posait le diable intérieur, pour avoir vécu près de cinquante années avec ma pomme (et je commençais de me connaître,) je savais que je n’avais pas le contact facile. A ce moment la, je m’interrogeais sur ma capacité à vivre en communauté.
Puis remisant au placard l’ensemble des questions, je plongeais dans la vague. Voila, j’y étais, je les voyais, ils n’étaient plus des noms, des formulaires, des photographies ; ils étaient de chair et d’os, de vie et de sentiments, ils étaient là. Je ré accueillais Luysi et Réni que j’avais croisé l’après-midi avant qu’elles se rendent à l’hôtel, elles me parlaient d’un festival Bulgare. De Roumanie, j’accueillais, Dan avec qui les échanges mail et téléphonique avaient été si nourri. Pour tous, je voyais un visage. Qui venait remplacer celui que la vision des photographies avait forgé. Oui, je rencontrais les humanités. Je recevais les cadeaux d’Aurélia (Bouteille et porte docupments) , de Anca, de Mirella (médaille roumaine). Je (re)voyais dans le regard d’Aurélia les incompréhensions. Je recevais Olegs et Guna de Lettonie. Avec Olegs le premier échange autour de Camus continuait de piquer ma curiosité, sa référence à « l’étranger » ce roman qui avait participé à me construire, les premières phrases dites et redites « aujourd’hui maman est morte… » …. Continuait d’aiguiser mon appétit. Un regard tellement intense. Une tranquillité physique et ce regard. Ces yeux qui riaient derrière cet air si sérieux. Je commençais d’entendre. « En Lettonie, à force d’occupation, nous avons appris la patience… ». Marius et Guna échangeaient en Russe. Je demandais à Olegs d’accompagner ma rencontre avec Guna. Je savais qu’elle parlait peu le français et anglais, j’avais considéré sa candidature en imaginant qu’Olegs pourrait nous aider à nous comprendre. Cela lui permettrait d’aller plus loin dans sa pratique de la langue.
La salle des fêtes commençait bruissait des langues et conversations, Babel, Babel... Quand à 20h00 arrivait, le mini bus de Roissy Charles-de-gaulle, j’allais accueillir Anna, Charo, Diana, Marijana, Nikos et Véronika. Tous étaient là et les conversations allaient bon train. Dans les échanges, je comprenais que nous nous reconnaissions. Je commençais aussi de sentir les réalités de cultures différentes de celle dans laquelle j’avais grandi et il nous faudrait vivre avec. 8 jours, huit petits jours pour une vie, pour partager et réduire les frontières géographiques à ce qu’elles devaient être : rien ! A l’arrivée, tous avaient regardé l’espace construction avec une gourmandise mêlée à une certaine appréhension. Tous avaient comparé nos personnages, les Germain, Zette et autre Vladimir que nous avions sorti et ces volumes et matériaux qu’il faudrait assembler. Avec tous j’avais échangés sur le pas à pas. Sur la méthode que nous utiliserions pour les accompagner dans leur appréhension de nos techniques ; tant celles de construction que celles de manipulation et d’interprétation. En français, en anglais, en allemand parfois, je leur disais comment ils devraient se laisser guider dans l’apprentissage de nos savoirs. Je leur disais à tous que chacun prendrait ce qu’il souhaiterait…
Autour du bar d’abord, ou jus de fruits, bières et vins locaux permettait à chacun de rencontrer les autres. Autour du buffet, l’appétit ouvert par une journée de voyages, la curiosité éveillée par le mélange des mets, permettait à chacun de trouver sa place. La soirée déroulait son fil. Certains avaient trouvé des tables qu’ils ne quitteraient pas. Revenant pour chaque repas, pendant tout la durée du Workshop au même endroit, d’autres avaient, tel Nikolas, commencé de butiner.
La soirée était telle qu’elle devait être. J’étais là, je n’y étais pas. Je butinais d’un endroit l’autre, je voyageais de table en table, ils allaient apprendre, j’allais être un des passeurs, j’allais voyager. Le voyage avait déjà commencé. Mais en même temps dans cette immensité humaine, alors que j’avais pris l’habitude de me cacher derrière les objets, les collaborateurs, la voix intérieure revenait me piquant ici et là des ses questions et assertions…
J’avais fait le tour des tables, les regards et les mots échangés laissaient présager que les jours qui s’ouvraient devant nous nous permettraient de vivre une aventure, une belle aventure. Les regards échangés avec Anna, Marijana, la complicité avec Charo, l’énergie laborieuse de Diana, la fervente envie de Véronika, la douce retenue de Mirella et Anca, la séverité d’Aurélia, celle de Guna derrière laquelle je voyais le rire mais que la barrière de la langue et des cultures, pour l’instant, nous empêchaient de franchir, le respect de Dan, le rire de Marius (Das ist Korrekt ? ) , l’humour d’Olegs, les mots d’envies de Léonard, le plaisir un peu perdu de Lydia et Karine, tout cela me confortait dans les choix que nous avions fait.
Je n’attendais rien. Je marchais au dessus du sol. Regarder, je ne sais pas regarder. Comment considérer le temps, comment le laisser filer mais en même temps l’arrêter. C’est ça la vie ? Je voyais le buffet, savamment dressé, les mélanges sucrés salés, je voyais le plaisir, je vivais un instant particulier et, regardant autour de moi, je le voyais, ce sentiment de vivre un moment exceptionnel était partagé par tous ceux présents à cet instant. Après que tous furent partis, je repensais aux échanges qui avaient été les nôtres. J’avais entendu le désir de voyager dans nos techniques artistiques, mais je voyais aussi le désir de découvrir « la France ». Le programme était lourd, des journées longues de travail et les temps libres étaient réduits à leurs plus simples expressions. La France qu’ils allaient découvrir était-elle celle qu’ils souhaitaient ramener avec eux dans leur bagages…
Quand après minuit, avec Dorothée nous fermions la salle et nous dirigions vers l’hôtel, nous étions rompu mais le cerveau et le corps en ébullition. Le diable qui m’avait parlé avant que j’accueille les participants était revenu. Il riait en posant ses questions. Je tentais sans succès de le faire taire….