Scène terrible, il y a quelques jours, dans le ciel des Monts. Poussés par une brise de traverse, les dix coups de tierce sonnés par les cloches de l’église du village marquent le cœur de la matinée. L’air se réchauffe doucement au soleil printanier et la rosée qui faisait briller la pelouse de mon courtil s’est évanouie comme un rêve au réveil. De lourds effluves d’humus et de terre mouillée montent du sol. Au loin, un coucou signale son retour. Dans les sapins, un couple de pigeons, des habitués, mène grand ramage pour rappeler aux pies qui ont établi leur nid au sommet d’un fayard peu éloigné l’interdiction de pénétrer leur territoire. Ils sont eux aussi en pleine couvaison. Leur ballet marqué par la prudence et l’ingéniosité m’a absorbé de longues minutes depuis trois jours. Dans les haies, les passereaux vont et viennent en respectant mille subterfuges pour détourner l’attention des deux ou trois corbeaux qui, depuis l’aube, tournent et virent au-dessus du parc. Une heure plus tôt, (Denisa Kerschova venait d’annoncer sur France Musique la mezzo-soprano Magdalena Kozena dans l’air "Che non mi disse un dil" extrait de L’Olimpiade de Josef Myslivecek avec l’Orchestre Philarmonique de Prague dirigé parMichel Swierczewsli), l’une des buses installées à demeure dans le petit bois en contrebas a tenté une sortie. En un clin d’œil, une compagnie entière des corvidés a envahi le ciel, tournant et virant autour de l’intruse comme le roquet de garde autour du facteur. Prudente, la visiteuse a viré au large et rejoint ses pénates sans insister. Quelques instants plus tard, le calme revenait. Et soudain, le drame éclate. Deux tourterelles apparaissent soudain au détour des sapins. Elles devisent joyeusement comme deux jouvencelles insouciantes en retour du bal de la Sous-préfecture. Les tuniques noires surgissent aussitôt et amorcent en grand tapage un encerclement quasi militaire. L’un d’eux est envoyé en éclaireur. Objectif : tester la résistance des voyageuses. Les autres poursuivent leur lancinant manège à quelque distance. Il ne leur faut pas longtemps pour se précipiter à leur tour. L’une des voyageuses se laisse tomber comme une pierre. Surpris par la hardiesse de la manœuvre,les attaquants n’ont pas le reflexe de l’imiter. Lorsqu’ils se lancent à sa poursuite, elle a déjà atteint un châtaignier tout proche. Elle disparaît dans le fouillis des ramures. Pendant ce temps, quelques secondes, sa compagne est assaillie par le reste de la bande. Bousculée, chahutée, agressée sans doute à coups de bec, d’ailes, de griffes, elle tente malgré tout de fuir. Des plumes volent. Des plumes blanches. Elle ne tarde pas à tomber à son tour. Mais son vol est incohérent, désarticulé. Je la perds bientôt de vue, masquée par les haies. Une partie de ses bourreaux disparaît dans son sillage. La scène n’a pas duré plus d’une minute. Terrible et sauvage. Comme la nature sait si bien se montrer, parfois.
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