Les Français veulent-ils vraiment des politiques honnêtes ?

Publié le 16 mai 2013 par Délis

Aveux de Jérôme Cahuzac, mise en examen de Nicolas Sarkozy, enquête administrative sur les « primes » de Claude Guéant…  autant « d’affaires » récentes qui viennent de nouveau éclabousser la classe politique française. De nombreux sondages illustrent les conséquences désastreuses de ces affaires sur la confiance des Français envers leurs représentants. Dans un sondage Harris Interactive réalisé immédiatement après les aveux de Jérôme Cahuzac, les trois-quarts des Français mettaient en doute le caractère personnel de cette affaire et indiquaient que ce nouveau scandale dégradait leur confiance envers les responsables politiques. Même son de cloche dans une étude Opinion Way menée quelques jours plus tard : 77% des Français y considèrent les responsables politiques comme plutôt corrompus (+13 points par rapport à décembre 2010) contre seulement 22% plutôt honnêtes. Le premier sentiment éprouvé par les Français lorsqu’ils pensent à la politique est d’ailleurs pour la première fois dans cette étude le dégoût (36%, +10 points par rapport au baromètre CEVIPOF de décembre 2012), devant la méfiance (32%).

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L’échec de la « République irréprochable » promise par François Hollande amène à l’adoption d’un prisme de lecture « tous pourris », désormais de plus en plus diffus dans toute la société et non plus confiné seulement à ses extrêmes. En effet, dans les deux enquêtes précédemment citées, l’impact délétère de l’affaire Cahuzac est mis en avant majoritairement par toutes les catégories de population, même si de manière plus marquée par les sympathisants de Droite et d’Extrême-Droite que par les sympathisants de Gauche. Ainsi, si 90% des électeurs de Marine Le Pen au 1er tour de l’élection présidentielle de 2012 jugent les responsables politiques français plutôt corrompus, c’est également le cas de 83% des électeurs de François Bayrou, de 75% des électeurs  de Nicolas Sarkozy, de 71% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ou encore de 63% des électeurs de François Hollande.

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Les nouvelles « affaires » qui émaillent l’actualité française, les taux de défiance constatés ou encore la progression continue de l’abstention aux différentes élections interrogent le principe même de la démocratie représentative, reposant sur la confiance et le sentiment d’être justement représenté et défendu. L’honnêteté semble dès lors être devenue la qualité essentielle dont doit pouvoir se parer tout homme ou femme politique qui prétend à des responsabilités. Or, dans la réalité, peut-on établir un lien très clair entre démonstration d’honnêteté, image dans l’opinion et succès politiques ?

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L’honnêteté est la 1ère qualité que les Français déclarent attendre des politiques

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Lorsqu’on interroge les Français sur les qualités qu’ils attendent le plus d’un responsable politique, et a fortiori du Président de la République, ils plébiscitent l’honnêteté. Déjà en mai 2011, dans une enquête Harris Interactive pour M6, MSN et RTL menée un an avant l’élection présidentielle, les Français, invités à décrire spontanément le Président idéal, l’imaginaient volontiers « honnête », « sincère », « franc », « intègre ». Le vainqueur François Hollande était d’ailleurs jugé, dans une enquête TNS Sofres dévoilée quelques mois avant le dénouement de l’élection, honnête par 65% des Français, quand seulement 35% prêtaient cette qualité à son adversaire du second tour, Nicolas Sarkozy.

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Aujourd’hui, un an après l’élection, l’honnêteté demeure un critère omniprésent, que ce soit parmi ceux qui dénoncent ou parmi ceux qui défendent l’exécutif. En effet, dans le baromètre de confiance dans l’exécutif de Harris Interactive, les soutiens de plus en plus restreints du Président de la République mettent surtout en avant son honnêteté supposée. 12% citent en effet spontanément cette qualité pour justifier leur soutien à François Hollande. Mais ceux qui  le critiquent sont également nombreux à évoquer l’affaire Jérôme Cahuzac pour remettre en cause l’intégrité du Président de la République.

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Nuages des mots employés par les personnes déclarant faire confiance  (en haut) ou ne pas faire confiance (en bas) à François Hollande pour mener une bonne politique pour la France

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Dans un sondage BVA pour Le Parisien Magazine réalisé peu après l’affaire Cahuzac, 40% des Français déniaient à François Hollande ce trait de personnalité, contre 58% qui estimaient que le terme « honnête » s’applique plutôt bien au Président. Dans une autre étude IFOP plus récente, les Français apparaissent encore plus partagés, 50% le jugeant honnête pour 50% d’avis contraire, comme si ce qualificatif polarisait la division de la société française. Notons également que 66% des habitants des communes de plus de 3500 habitants attribuent cette qualité à leur maire, ce qui peut contribuer à expliquer la plus grande confiance en général relevée envers cet élu de proximité. Quel que soit l’échelon observé, l’honnêteté apparait donc comme une qualité très prisée et commentée chez les hommes et les femmes politiques, et semble être devenue le premier prisme à travers lequel les Français jugent leurs représentants. Mais, au fond, s’agit-il d’honnêteté ou plutôt de sincérité ? Les Français font-ils véritablement référence au respect de la loi ou plutôt à la cohérence entre parole et décision politique, au poids de la parole politique ?

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Une priorité toute relative ?

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Devant le tollé provoqué par l’affaire Cahuzac, François Hollande a pris  des mesures rapides et fortes pour promouvoir la transparence des élus envers leurs administrés et prouver leur honnêteté. Et si l’efficacité de ces mesures a parfois été interrogée, elles ont plutôt été bien accueillies par la population française. A l’heure du premier bilan à l’issue d’un an de mandat, il s’agit même du deuxième thème porté au crédit de François Hollande : en effet, 28% des Français citent la moralisation de la vie politique comme un des domaines parmi lesquels le Président s’est montré le plus satisfaisant. Pourtant, force est de constater qu’il ne s’agissait pas, lors de l’élection présidentielle, d’une priorité absolue aux yeux de la population. En effet, seuls 25% des électeurs déclaraient le 22 avril 2012 que le thème de la moralisation politique avait beaucoup compté dans leur  vote, ce qui plaçait cette thématique en 7ème position, loin derrière la lutte contre le chômage, la réduction des déficits publics, le pouvoir d’achat, l’éducation, la lutte contre les inégalités ou encore la fiscalité. Aucun électorat ne désignait ce thème parmi leurs cinq  priorités, ni les partisans de l’extrême-droite (21%) ni même les électeurs de François Hollande (31%, 6ème motivation de vote) et surtout pas les électeurs de Nicolas Sarkozy (7%). Notons d’ailleurs que le candidat ayant installé cette thématique durant la campagne, François Bayrou, n’est pas parvenu à jouer de nouveau le rôle de 3ème homme comme en 2007, même si 40% de ces électeurs indiquent avoir accordé une grande importance à cette thématique. Suite au retentissement de l’affaire Cahuzac, il est tentant a posteriori d’évoquer le désir profond des Français de voir adopter de telles règles. Reste qu’en avril 2012, cela ne faisait pas partie de leurs premières expectatives. Et que l’attente d’efficacité face aux principaux défis du pays – chômage en tête – apparaissait bien plus forte que l’attente de probité.

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Par ailleurs, on a vu que François Hollande bénéficiait avant 2012 d’une image plus honnête que celle de son principal concurrent Nicolas Sarkozy. Mais si l’on regarde l’évolution des intentions de vote et des structures d’image, on constate que c’est plutôt avec l’installation de sa stature présidentiable et de son autorité que les intentions de vote en sa faveur ont progressé. Si la perception de son honnêteté a sans doute joué un rôle, celui-ci a sans doute été mineur face à l’identification de sa capacité à incarner le rôle de chef d’Etat. Preuve en est : aujourd’hui, au moins un Français sur deux reste convaincu de l’honnêteté du Président de la République. Mais s’ils devaient revoter, moins d’un votant sur cinq lui renouvellerait son suffrage. Autre indice démontrant qu’honnêteté perçue et soutien dans l’opinion ne vont pas nécessairement de pair : dans une récente enquête Harris Interactive, seuls 41% des Français jugent Marine Le Pen honnête, soit une proportion plus faible que pour François Hollande, ce qui ne l’empêche pas de voir sa stature de présidentiable s’étoffer (24%, +6 points en deux ans) et de devancer l’actuel Président dans les intentions de vote publiées.

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Ainsi, l’honnêteté ne garantit pas une victoire lors des confrontations politiques et un soutien sans faille de l’opinion. Tout comme la malversation ne semble pas empêcher de mener une carrière politique. L’histoire n’est en effet pas exempte de responsables politiques condamnés et pourtant réélus. On peut citer Gaston Flosse, récemment réélu en Polynésie Française avec son parti Tahoera’a huiraatira, en dépit de plusieurs mises en examen et condamnations. En Métropole, la liste est également longue de politiques de toutes obédiences ayant été condamnés par la justice et pourtant de nouveaux élus ou amenés à exercer d’importantes responsabilités politiques : Patrick Balkany, Pierre Bédier, Christian Cuvilliez, Henri Emmanuelli, Alain Juppé, Jean-François Mancel,  Serge Dassault, Jean Tibéri, Jacques Mellick… Les « affaires » ne nuisent donc pas toujours à la carrière des hommes et des femmes politiques. S’il est sans doute prématuré pour Jérôme Cahuzac de se représenter aux prochaines élections législatives partielles dans la circonscription de Villeneuve-sur-Lot, il ne semble pas possible d’affirmer aujourd’hui que sa carrière politique est définitivement terminée.

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Face à la multiplication des « affaires » et leur retentissement médiatique, tout responsable politique national est susceptible d’être considéré, a priori¸comme n’étant pas tout à fait intègre, et doit aujourd’hui rassurer sur sa vertu. Mais si la demande d’honnêteté apparait si forte aujourd’hui envers le « corps » politique, cela est sans doute dû au fait que l’efficacité n’est pas au rendez-vous en termes d’action politique. N’apparaissant alors pas comme une condition première, ni même totalement nécessaire à défaut d’être suffisante, l’honnêteté apparait plutôt aujourd’hui comme la dernière qualité dont on souhaiterait pouvoir affubler des politiques dont on ne perçoit plus les capacités d’action. Plus qu’une honnêteté sans faille, les Français aimeraient surtout pouvoir croire dans les paroles politiques et leur réalisation après les promesses de campagne. Jérôme Cahuzac avait d’ailleurs été bien plus critiqué par les Français sur le mensonge proféré durant plusieurs semaines que sur l’acte d’évasion fiscale en lui-même.