Ici et lŕ, il n’est pas rare de percevoir une pointe d’agacement : Ryanair continue de jouer la provocation, ses dirigeants n’hésitent jamais ŕ tenir des propos Ťborderlineť, sa politique tarifaire tient du rouleau compresseur. Et, en plus, la compagnie irlandaise affiche une bonne santé financičre insolente, 596 millions d’euros de bénéfice pour le premier semestre de son année fiscale 2012/2013. Le tout en se jouant de la mauvaise conjoncture : seulement 5% d’augmentation de trafic mais, dans le męme temps, un chiffre d’affaires en progression de 15%. De quoi casser le moral de la concurrence.
Le dynamisme commercial de Ryanair est impressionnant. Aujourd’hui, par exemple, la compagnie met en vente 100.000 places ŕ 15,99 livres ŕ destination de Malmö, en Sučde, pour permettre aux fans de chansons d’assister le mois prochain au prochain concours Eurovision. Il fallait y penser ! Et, par la męme occasion, promouvoir une destination dont les attraits ne sont pas particuličrement évidents. Le niveau tarifaire est dérisoire, il est plus élevé pour le vol retour et les incontournables recettes annexes feront le reste. Ryanair est tout ŕ la fois un modčle du genre, avec tous ses excčs, et une remarquable pompe ŕ fric. Et, pour décrire son modčle économique, depuis peu, elle se qualifie d’ULCC, Ultra Low-Cost Carrier.
Sa volonté de domination du marché européen n’est plus un secret, sans craindre les contradictions ou nier une évidence, ŕ savoir que les statistiques ne montent pas au ciel, pas męme au profit des ULCC. Ryanair vient de franchir le cap symbolique des 75 millions de passagers annuels, elle en vise 100 millions en 2018, année au cours de laquelle elle alignera une flotte de 400 Boeing 737-800, une centaine de plus qu’actuellement. Mais pourra-t-elle aller beaucoup plus loin ? Michael O’Leary, son bouillant directeur général, évite de se hasarder ŕ toute réponse ŕ cette question.
Pourquoi ? Tout simplement parce que nombre de voyageurs veulent aller ŕ Bruxelles et non pas ŕ Charleroi (aéroport rebaptisé ŤBrussels Southť avec la complicité des autorités wallonnes), partir de Paris et non pas de Beauvais (ŤParis-Beauvaisť) et attendent du transport aérien, fut-il court-courrier, une image et des méthodes plus tranquilles. Ce qui peut inciter, ŕ long terme, ŕ parier davantage sur le succčs d’EasyJet. Laquelle s’impose des contraintes, évite soigneusement les risques d’une hypothétique crise de croissance, est low cost sans se prétendre Ťultrať, s’efforce de répondre aux exigences de rentabilité de ses actionnaires tout en restant dans des limites de décence commerciale. Une stratégie qui pourrait se révéler gagnante, plus tard, et aider ŕ définir un modčle économique qui reprendrait le meilleur de deux formules pour le moment antagonistes.
Ryanair doit désormais se contenter d’un taux de croissance normalisé et, pour préserver son impressionnante rentabilité, franchir discrčtement mais réguličrement la ligne jaune. Le 24 mai atterrira dans les librairies un ouvrage écrit sous pseudonyme par un salarié français de l’entreprise qui révélera les coulisses de l’exploit. On en parlera, le moment venu.
La compagnie irlandaise a une fois pour toutes ringardisé les compagnies classiques. On dit, ŕ nouveau, qu’elle pourrait tenter d’en faire de męme sur le marché du long-courrier, une idée qui alimente d’ores et déjŕ des propos dont rien n’indique qu’ils sont crédibles, fondés. Aprčs tout, Southwest Airlines, qui a créé le modčle low cost, ensuite copié avec plus ou moins de bonheur ŕ travers la plančte, a créé un marché nouveau sans jamais mettre dans l’embarras les Ťlegacy carriersť. Aussi peut-on douter de la capacité de Ryanair de faire mieux. Tout est une question de patience.
Pierre Sparaco-AeroMorning