L'article publié par Pascale Robert-Diard, journaliste au quotidien Le Monde, s'intitule "Procès PIP : le beau métier de défendre". Plutôt que de juger à la place du Juge, l'auteur préfère observer, comprendre et rendre compte - en un mot informer - sur le mécanisme du procès du "médiator". Plutôt que de prendre partie, plutôt que de simplifier ce qui est nécessairement complexe, Pascale Robert-Diard a choisi d'approcher l'enjeu de la vérité judiciaire en consacrant quelques belles lignes à la plaidoirie de l'avocat d'une des personnes poursuivies.
Ce passage m'a particulièrement touché :
"Alors Me Boudot lui donne sa voix. Il plaide et ne cède sur rien. "C'est un joli mot, défendre, dit-il. Défendre,c'est ne rien accepter pour acquis qui n'ait été passé au crible de la critique". Il ne ruse pas avec les charges, il les affronte et ses mots sobres portent. Ils cheminent, bousculent les certitudes assénées la veille à coups de formules accablantes par le réquisitoire. En réponse à une accusation qui, dit-il, a "pris en otage les bons sentiments", indifférent au grondement qui sourd de temps à autre des bancs du public où de nombreuses victimes ont pris place, il observe: "On vous demande aujourd'hui de condamner au maléfice du doute"."
Mon confrère et son porte voix disent tout : défendre n'est pas ruser, mentir ou justifier. Défendre c'est en effet "ne rien accepter pour acquis qui n'ait été passé au crible de la critique". Défendre est un appel à l'intelligence humaine, à la capacité à comprendre la complexité, à refuser ce qui est pré-jugé pour ne pas dire pré-mâché. Défendre c'est se méfier des certitudes, du prêt à porter intellectuel, des vérités toutes faites, des slogans, des procès et lynchage en place publique. Défendre n'est pas décider à la place de son client, c'est l'éclairer, lui exposer les enjeux, le rendre libre de cette manière là.
La phrase de conclusion retient aussi, interroge :
"Et les mots de l'avocat restent là, figés dans la (mauvaise) conscience de chacun."
Quel avocat passionné par son métier ne rêve pas que l'on parle ainsi de ses mots ? A tout le moins, ces mots font du bien à notre profession. Merci à Me Boudot de les avoir inspiré à Mme Robert-Diard.
Car les temps sont durs pour les avocats. Ils sont au soupçon. C'est ainsi que tel politique propose que les élus de la nation ne puissent aussi exercer cet odieux métier. C'est ainsi que tel gouvernement a proposé d'ouvrir grand les portes du barreau pour permettre à d'anciens ministres d'y atterrir. C'est ainsi que des projets de lois proposent tout simplement d'écarter l'avocat.
Dans une société en crise en quêtes de repères et parfois d'idées reçues, simplistes mais faussement rassurantes, la vocation de l'avocat n'est plus toujours comprise. Réduit à ses honoraires toujours trop élevé, mis en concurrence avec d'autres professions sans les mêmes contraintes, l'avocat doit se défendre lui-même. Certes, la profession a sa part de responsabilité. Certes, certains cabinets ont réduit le métier à celui de consultant ou de marchands de droit. Certes. Mais le métier d'avocat demeure essentiel à toute vie démocratique, à tout Etat de droit, à toute possibilité de vie en société et en paix. L'avocat canalise les passions et les traduit en termes juridiques, il prend en charge la violence des rapports humains, il guide dans le dédale de nos contradictions (et des textes aussi).
Le titre du présent billet est inspiré par celui de l'ouvrage de Jean Gallot que je recommande à tout élève avocat. Tout comme je recommande "L'Affaire" ou "Mots et pas perdus : images du Palais" de Jean-Denis Bredin. Mais aussi tant d'autres livres de grands avocats comme Robert Badinter. Et tant d'autres.
La République oublie ce qu'elle doit aux avocats. La langue française aussi. J'espère que les étudiants en droit n'oublieront pas de continuer à rêver d'être avocat malgré la montagne d'inepties et de fantasmes qu'il faut gravir.