Question trois : Est- il possible de l’exercer pleinement en Martinique et dans la Caraïbe?

Publié le 15 mai 2013 par Aicasc @aica_sc

Bruno Pédurand

Un exercice de la critique est-il possible en Martinique et dans la Caraïbe ? Je pense que oui partout où il y a des productions artistiques une critique est possible. Connaissant plus particulièrement la situation ici à la Martinique ainsi qu’en Guadeloupe, je peux plus facilement m’exprimer sur le sujet à partir d’ici. L’absence de véritable milieu professionnel  pour les arts plastiques a pour principale conséquence de circonscrire le débat sur l’art au seul milieu scolaire en dehors de quelques rares initiatives privées. Les productions artistiques ne souvent appréhendées qu’au travers du prisme du pédagogique dans le meilleur des cas ou du culturel pour ce qui est du pire. Quand bien même l’exercice de la critique ne saurait se réduire à une simple activité de promotion et de vulgarisation, elle ne devrait pas non plus s’envisager comme un  exercice d’écriture confié à quelques enseignants bienveillants désireux d’apporter leur modeste contribution à l’édification d’une histoire de l’art locale. La petitesse de l’île ne saurait à elle seule justifier le manque d’engagement et de positionnement  de certains critiques d’art locaux. Il me semble évident que pour un bon nombre d’entre eux l’exercice de la critique n’engage rien de plus qu’un point de vu étayé par quelques lectures éclairées. Dans la grand messe de l’art officiel local la prise de risque n’est pas défendable et la censure n’est plus condamnable le seul  mot d’ordre semble être « pas de vagues »

ANO

Pour répondre à cette question, je me tournerai vers ce que je connais le mieux : l’artiste.

Dans, Discours Antillais, le poète E. Glissant écrit avec dépit que dans nos régions toute création est immédiatement « suspecte d’être politique » et surligne, l’autosurveillance, la domination d’un système de pensée uniformisant rendu à une efficacité extrême en raison de l’exiguïté des territoires et de leur passé colonial. 

Cette suspicion politique des créations antillaises n’est peut-être pas fausse, car quand l’artiste issu de nos minorités produit une œuvre, il révèle même devers lui une identité dominée en résistance. Une identité qui tente de dire difficilement sa différence. En cela c’est un acte politique, en ce sens que l’artiste souhaite modifier (tout comme le politicien) le regard qu’il a sur lui-même et le regard que l’on a sur lui, ce faisant il interroge le paysage social pour avoir prise sur lui afin de le changer.

A mon avis le critique se doit d’accompagner et respecter l’engagement politique des artistes s’il veut exercer pleinement son rôle. Ainsi s’il prend ses responsabilités en ne se défaussant pas sous un monceau de concepts « prêt-à-penser», la création en sortira vainqueur (rappelons-nous l’appel au combien politique d’Aimé Césaire dans la revue Tropique n°1 et ce qui en résultat).

Néanmoins j’ai beau jeu de dire que le critique doit commettre des textes dans lesquels il doit faire preuve d’audace, de créativité tout en se risquant à fréquenter la lisière des “grands récits critiques” qui construisent l’art contemporain (le socle est occidental, comme nous le rappelle Nicolas Bourriaud, Giovanni Gioppolo ou encore Yolanda Wood) ; il n’en reste pas moins que sans engagement, le critique risque de filer des « coups de pelle dans un gâteau » pour rependre une métaphore chère à l’écrivain Zimbabwéen Dambudzo Marechera.

Comme je l’ai dit plus haut l’élaboration des discours en cours de sédimentation est un exercice difficile et l’édifice du dire commun reste extrêmement fragile.

Cependant, rendons justice à E. Glissant en rappelant que l’exiguïté des territoires, la lourdeur du passé colonial et la pression des institutions culturelles qui financent souvent les critiques et les artistes produisent des consensus quelques fois très mous. Dans une telle situation de ménagement des égos, des susceptibilités et des sensibilités financières incertaines, on peut saisir l’angoisse que certains critiques ont des lendemains qui déchantent. Ainsi pour survivre et produire ces derniers préfèrent gommer le plus possible l’engagement politique au profit d’un métier de service public où l’on se doit de produire des publications fades.

Pour clore cette question, je répondrais par une autre question et souhaite renvoyer chacun face à ses propres responsabilités :

En caraïbe Française, comment traitons-nous les critiques qui ont un regard sans concession sur La politique et un engagement profond envers notre édifice esthétique ?

 Sophie Ravion D’ingianni

 Pour moi, il n’y a pas une critique d’art qui se voudrait que régionale! L’art est universel, de plus en plus dans tous les pays et les régions, surtout dans le monde des réseaux et du net qui ne sont pas à négliger. Il faut seulement avoir pour principe le discernement, ne pas tomber dans les séductions du gout du jour.

 La prochaine question :

Qu’est ce qui confère aux critiques leur légitimité en région ?