Des pluies de malheurs sont tombées dru sur les mômes des Fontaines. Certains sont orphelins. D'autres ont été abandonnés ou leurs parents ont été relevés de leur garde, parfois temporairement. C’est écrit à demi-mot et cela suffit pour deviner que l’alcool, la prostitution, la drogue ou la prison ont fait éclater la cellule familiale.
On apprend vite que Courgette est un garçonnet de 9 ans qui, après avoir accidentellement tué sa maman alcoolique se retrouve en foyer puisque son père a déserté la maison depuis le jour où il est parti avec une "poule". Ce foyer n'est pas un endroit idyllique mais c’est un paradis comparativement à ce que ses pensionnaires ont vécu.
Il y a Simon, dont on comprendra plus tard comment il parvient à savoir tout sur tout le monde, Béatrice, toujours les doigts dans le nez, Ahmed le grincheux qui ne reconnaitra pas son papa lorsqu'il se présentera sans sa barbe, Jujube le gourmand, Alice au visage masqué par ses cheveux, et puis Camille... qui est là comme pour démontrer que le bonheur existe.
Certains vont découvrir la mer pour la première fois, faire l'expérience des sports d'hiver, d'une soirée au cirque, mais surtout recouvrer ce qu'est un vrai esprit de famille. Et si tout va bien, se profile l'adoption au bout du tunnel.
Gilles Paris décrit un monde que les grandes personnes ne parviennent pas à maîtriser, faisant la démonstration que ce n’est pas parce qu’on croit tout savoir qu’on a prise sur le cours des choses. Il s’est glissé dans la peau d’un garçonnet d’une dizaine d’années. C'est donc toujours Icare, alias Courgette qui parle. Les phrases sont longues, bousculées par une syntaxe parfois chaotique, à l’instar de la manière de s’exprimer des enfants. Le récit est au présent. C’est presque un journal de bord, respectant la chronologie des évènements. Il est très dialogué, ce qui place le lecteur en immersion.
Néanmoins l’auteur laisse échapper un niveau de réflexion qui permet d’aller au-delà de ce qui aurait pu s’apparenter à un relevé d’évènements. On retrouve l'attention aux signes de la dépression qui était le sujet principal de son précédent livre, Au pays des kangourous. Simon donne à cet égard une jolie définition : des fois tout semble aller au ralenti et ça s'appelle l'ennui. (p.174).
On sent aussi une critique philosophique de la toute puissance imméritée des adultes et on se surprend à s’arrêter pensivement sur plusieurs phrases prononcées par le petit garçon tant il est vrai que « la vérité sort de la bouche des enfants ».
En voici quelques exemples :
On n’est pas pire que les grandes personnes qui font semblant de savoir. (p. 152)Avoir une mauvaise vie peut conduire à devenir une femme de mauvaise vie.L’église, c’est la maison au bon Dieu qui y est jamais. (p. 98)C’est pas parce qu’on demande rien qu’on sait tout. (p.232)
On serait tenté d’aller fouiller ce qui est autobiographique dans son roman mais l’auteur répond de lui–même à la question en précisant que son enfance a été difficile mais pas malheureuse. C’est peut-être à de rares moments comme celui-ci (p. 232) qu’on le reconnait le plus : Moi, quand je serai vieux, j’aurai toujours dix ans et je poserai toutes sortes de questions idiotes et j’aurai pas une seule ride.
Il aurait pu nous livrer un bouquin plombant. Ce livre est pétri de légèreté et de tendresse ... assaisonné d'un humour fou. J'en ai oublié qu'il s'agissait d'un roman destiné au jeune public. Préface, postface, notes de bas de page pour expliquer les mots un peu ardus, quizz et jeux m'ont rappelé l'âge de la cible.
Maïwen avait abordé le sujet vu du coté de la police avec son très poignant Polisse. Gilles Paris a voulu faire un récit positif, montrant des gosses très solides malgré tout ce qu'ils ont enduré et la masse de soucis qu'ils accumulent dans leur tête, parfois sur leurs corps, à commencer par la branche à cinq feuilles sur les joues. (p.119)
Il met aussi l'accent sur la bonne volonté de tout le personnel qui a en charge ces petits pensionnaires, et c'est une bonne chose de montrer les "zéducs" dans plusieurs facettes de leurs responsabilités. Le Juge aux Affaires Familiales est dans la toute puissance mais il est bienveillant.
Les parents un peu désarmés devant les réactions de leur progéniture trouveront des clés pour mieux les comprendre. Et quelques jeux pour passer de bons moments. Comme celui de la phrase qui tient debout (p.160) ou le jeu du dictionnaire (p.36).
Les illustrations de Charles Berberian apportent un souffle qui convient lorsqu’on vise un jeune lectorat.
Gilles Paris dirige une agence de communication spécialisée dans l'édition. Il est également l'auteur de Papa et maman sont morts (Seuil, 1991) et d'Au pays des kangourous (Éditions Don Quichotte, 2012) que j'avais chroniqué à sa sortie.