A la recherche de dividendes croissants suisses

Publié le 15 mai 2013 par Chroom

En conclusion de mon récent article d’analyse des sociétés du SMI sous l’angle de leur culture des dividendes, j’avais mentionné que la recherche de bons candidats ne devait pas se limiter aux seules Blue Chips de l’indice. Plutôt que de scruter les sociétés d’un certain indice, pourquoi ne pas définir un certain nombre de critères et s’intéresser aux sociétés qui y répondent ?

Profitant du screener proposé par le site ft.com, je me suis ainsi lancé dans l’exploration des sociétés suisses en recourant à des critères qui me semblent sinon exhaustifs du moins importants pour identifier des sociétés qui pourraient offrir des placements intéressants pour l’investisseur dans les dividendes. J’ai lancé une recherche en incluant consécutivement les critères suivants :

  1. Sociétés suisses cotées et référencées par le site du Financial Times (252 sociétés)
  2. Dividende minimum de 2.5% pour l’exercice 2012 (réduit les résultats à 113 sociétés) => Il s’agit d’un critère arbitraire fixant une rentabilité minimale
  3. Croissance EPS >5% sur les cinq dernières années (16 sociétés) => Un accroissement des bénéfices, représentés ici par le ratio Earnings-per-share, est une condition qui permet au dividende de croître.
  4. P/E ≤ 25 (14 sociétés) => Le critère d’un P/E maximum de 25 permet de ne pas sélectionner des sociétés dont les titres seraient sensiblement surévalués.
  5. Dividende versé depuis au moins 5 ans sans interruption (12 sociétés) => Il s’agit d’un critère indiquant qu’une société adhère à une politique de versement d’une part des bénéfices sous forme de dividendes.

Le résultat du screener est ainsi constitué de 12 sociétés de divers secteurs. Dans le tableau ci-dessous, j’ai rapporté quelques informations relatives à chaque société dans le but de juger de leur potentiel en dividendes. Le tableau 1 porte sur plusieurs aspects importants des dividendes, indiquant pour chaque société :

  • le yield (rendement) pour l’année 2012,
  • le payout ratio (part du bénéfice consacré au versement du dividende),
  • la croissance moyenne du dividende sur les cinq dernières années,
  • le nombre d’années de versement d’un dividende,
  • le nombre d’augmentation(s) du dividende,
  • la régularité du dividende

Si le montant du dividende brut d’une année à l’autre est stable (identique) ou croissant, il s’agit alors d’un dividende dit « régulier » ; au contraire, si le montant du dividende chute ou que le versement est interrompu pendant une ou plusieurs années, le dividende est alors dit « irrégulier ». Cette régularité est très importante pour l’investisseur car celui-ci cherche évidemment des sociétés offrant un dividende dont le montant est prédictible. Les données, toutes datées du 10 mai 2013, sont tirées du site www.ft.com, des pages investor relations des sociétés et complétées au besoin par les informations du site http://www.finanzen.ch. Signalons encore que toutes les sociétés retenues versent un dividende sur un rythme annuel.

Tableau 1. Informations sur les dividendes des sociétés issues du screening

Société

Ticker

Yield

Payout ratio (ttm)

DGR 5 ans

Nombre d’années de versement

Nombre d’Augment-ation(s)

Régularité

Baselland-schaftliche Kantonalbank

BLKB

3.13

17.10

3.34

5a)

1

oui

Bell

BELL

2.67

31.48

8.45

11

5

oui

Bergbahnen Engelbergb)

TIBN

3.06

24.62

4.56

6

3

oui

Bossard

BOS

3.82

39.99

13.90

5

1

non

Calida

CALN

3.21

32.31

26.19

10

3

non

Gurit

GUR

3.88

51.07

18.20

11

2

oui

Implenia

IMPN

2.80

37.23

22.87

5

4

oui

Inficon

IFCN

5.50

95.83

16.37

9

4

non

Lem

LEHN

4.21

N/A

40.91

16

6

non

Novartis

NOVN

3.33

62.46

3.68

16

15

oui

Tamedia

TAMN

4.57

39.88

13.90

12

4

non

Warteck Invest

WARN

3.85

81.82

1.86

13

6

oui

Note. Payout ratio (ttm) = Payout ratio sur les 12 derniers mois. DGR 5 ans = Dividend Growth Rate, soit le taux moyen de croissance du dividende sur les cinq dernières années. a) Il s’agit d’un nombre minimum (données introuvables sur le site de la société). La régularité est alors jugée sur ce nombre minimum. b) Le nom complet de la société est « Bergbahnen Engelberg Truebsee Titlis Bet ». N/A = informations non disponibles
 

A la lecture du tableau 1, apparaît une surprise de taille : certaines sociétés ténors du SMI telles que Roche, Swisscom, ABB, Syngenta ou encore Zürich ne sortent pas dans les résultats du screener. Ceci s’explique par le fait que la croissance moyenne du bénéfice par action (EPS) de ces sociétés est négative pour la période 2008-2012. Ainsi les sociétés issues du screener se sont avérées particulièrement fortes quant à leur capacité à accroître – pas forcément de manière linéaire – leurs EPS depuis 2008. Syngenta remplit tous les critères à l’exception du yield (2.41%) qui est légèrement inférieur au seuil de 2.5%. Le seul membre du SMI issu du screening est ainsi Novartis.

Les yields sont alléchants, notamment celui de 5.5% offert par Inficon. Ceci ne va toutefois pas sans risque. Nous notons en effet que deux sociétés, soit Inficon et Warteck Invest[1] ont des payout ratios proches ou supérieurs à 80%, ce qui laisse penser qu’elles pourront difficilement accroître le montant des dividendes qu’elles verseront dans le futur– du moins plus difficilement que les autres sociétés dont les ratios sont modérés. Bien que toutes les sociétés présentées aient un EPS qui s’est (en moyenne) accru lors de ces cinq dernières années, ceci ne constitue pas une garantie formelle d’un futur accroissement des gains, mais une indication que la dynamique récente de la société est favorable.

Concernant la croissance des dividendes, nous observons de fortes différences. En effet, trois sociétés (Basellandschaftliche Kantonalbank, Bergbahn Engelberg et Warteck Invest) ont des DGR faibles soit inférieurs à 5% ; au contraire, quatre sociétés ont des DGR supérieurs à 20%. Pour l’investisseur dans les dividendes, ce deuxième type de sociétés est bien entendu plus désirable à terme.

Pour ce qui est de la régularité dans le montant brut des dividendes, quatre sociétés (Bossard, Calida, Inficon, Lem et Tamedia) se montrent irrégulières. Par exemple, la société Lem a versé un dividende à seize reprises depuis 1994. Toutefois, aucun dividende n’a été versé durant les années 2002 à 2004 et un dividende extraordinaire a été versé à une reprise. Tamedia offre elle aussi un dividende imprédictible : il fluctue à la baisse ou à la hausse quasiment chaque année.

Le tableau 2 indique, pour chacune des douze sociétés retenues : leur secteur d’activité, leur capitalisation, la variabilité de leur cours (Beta), un indicateur de leur valeur (P/E ttm ratio, soit le ratio du prix/bénéfice pour les douze derniers mois), ainsi que le taux d’accroissement des bénéfices par action sur les cinq dernières années (EPS growth). Malheureusement, je n’ai pas eu accès à un historique des P/E ratios qui aurait permis de juger si la valeur actuelle de l’action était intéressante en comparaison de sa valeur ces dix dernières années.

Tableau 2. Informations relatives aux sociétés

Société

Secteur

Capitalisation

Beta

P/E (ttm)

EPS growth

5 ans

Basellandschaftliche Kantonalbank

Regional Banks

409 mio

0.03

5.44

8.80

Bell

Food Processing

608 mio

0.35

11.64

6.10

Bergbahnen Engelberg

Miscellaneous Transportation

77 mio

0.31

8.86

20.09

Bossard

Miscellaneous Fabricated Products

334 mio

1.22

11.10

7.47

Calida

Apparel/Accessories

135 mio

0.75

10.06

28.82

Gurit

Chemicals – Plastics & Rubber

110 mio

1.35

12.83

71.49

Implenia

Construction Services

638 mio

0.65

13.51

22.53

Inficon

Scientific & Technical Instruments

445 mio

1.26

17.42

10.78

Lem

Electronic Instruments & Controls

455 mio

1.19

18.14

14.26

Novartis

Major Drugs

187 mia

0.75

18.97

6.79

Tamedia

Printing & Publishing

709 mio

1.22

6.96

6.96

Warteck Invest

Real Estate Operations

179 mio

0.22

21.12

9.88

Note. mio = millions de CHF, mia = milliards de CHF. L’indice beta porte sur les cinq dernières années. Le P/E est calculé sur les douze derniers mois (P/E ttm).
 

Nous remarquons que certaines de ces sociétés ont des capitalisations relativement faibles, ce qui les rend plus vulnérables aux crises économiques que ne le sont les Blue Chips du SMI. Par ailleurs, le P/E moyen des douze sociétés est de 13.61, ce qui est largement inférieur au P/E moyen des vingt sociétés du SMI qui s’élève à 18.66. Autrement dit, les sociétés issues du screening sont bien moins « chères » que celles du SMI. Les informations figurant dans les deux tableaux m’ont permis de regrouper les sociétés en trois ensembles selon leur intérêt pour l’investisseur dans les dividendes. Il ne s’agit ici, bien évidemment, que de mon interprétation personnelle de ces informations.

Les moins intéressantes

Dans cette catégorie je classe Bossard, Calida, Inficon, Lem et Tamedia à cause de leur historique de versement irrégulier (imprédictible) : ce type de politique va à l’encontre de ce que recherche l’investisseur dans les dividendes. Il semble que cette irrégularité soit souvent due au fait que les dividendes versés par ces sociétés constituent simplement un pourcentage (ou une fourchette de pourcentages) prédéfini des bénéfices. Par conséquent, ce sont des sociétés que je ne saurais conseiller malgré la valeur (P/E ratio) intéressante de certaines.

Les intéressantes

Je pense que Basellandschaftliche Kantonalbank, Bergbahnen Engelberg, Gurit et Warteck sont toutes des sociétés intéressantes quant à leurs dividendes. Des aspects négatifs doivent toutefois être considérés.

Concernant Basellandschaftliche Kantonalbank et Bergbahnen Engelberg, c’est la croissance du dividende qui constitue le point faible. L’investisseur peut cependant considérer que le yield supérieur à 3% constitue un bon placement et se satisfaire d’une faible augmentation si le DGR devait se confirmer dans le futur. Ajoutons que ces deux sociétés ont des P/E ratios faibles.

Pour Gurit, qui offre un yield de 3.88% ainsi qu’une croissance forte du dividende, l’incertitude plane quant à la prochaine augmentation du dividende. En effet, malgré un historique de onze ans dans le versement d’un dividende, cette société ne l’a augmenté qu’à deux reprises.

La dernière société de cette catégorie, Warteck Invest, présente tant de forts avantages que de sérieux inconvénients. Si le yield est élevé (3,85%) et le dividende régulier, le montant du dividende fait du surplace. De plus, tant le payout ratio que le P/E sont actuellement élevés.

Les plus intéressantes

Les résultats du screening pointent vers trois sociétés fortes intéressantes : Bell, Implenia et Novartis. Concernant Bell et Implenia, non seulement ces sociétés sont dans une période de croissance de leurs bénéfices, mais elles ont aussi l’avantage de verser des dividendes qui sont en forte augmentation et réguliers. De plus, elles disposent d’une marge certaine pour continuer d’augmenter le montant des dividendes au cours des prochaines années (payout ratios inférieurs à 40%). Ces sociétés ont actuellement des valeurs, telle que mesurées par le P/E ratio, qui sont tout à fait raisonnables. Implenia présente un historique de versement de dividendes plus court que Bell, mais compense par un EPS plus fort.

Novartis est une société qui offre une belle opportunité pour l’investisseur dans les dividendes : un historique de dividendes de seize ans avec une augmentation annuelle systématique du montant et un payout ratio raisonnable. Son seul défaut est d’être actuellement relativement chère en comparaison à la plupart des autres sociétés issues du screening.

Pour conclure, soulignons que d’une manière générale, l’historique de dividendes des sociétés sélectionnées est court en comparaison à celui d’une société telle que Procter & Gamble qui verse un dividende depuis 1891(!) et l’accroît chaque année depuis 57 ans.


[1] Pour cette société, il est possible qu’un payout ratio élevé fasse partie de la politique d’entreprise.