Là, sur ce banc surprit par le froid.
Que je crève !
D’un penchant platonique, pour une plate femme.
Que je crève.
Dans le silence lancinant d’une salle de cinéma, sans louanges.
Que je crève.
Cracheur de faux, voleur de vœux, frôleur de feu, sans rêves… sans rêves.
Que je crève !
Dans une vaine et folle atonie, les veines vagissantes, la peau crasseuse, le crâne faisandé,
dans un cul de basse fosse ou dans mon lit d’une petite pneumonie.
Que je crève.
Laissant ailleurs ces souvenirs de cendre et cette poudre aux yeux livide, ces tessons de tendresse, ces vins désirs de chair incorruptible, ces morceaux de caresses qu’on m’a promit souvent.
Que je crève !
Les tempes rouges de colère, l’œil noir de cambouis, le corps opalin comme un cachet d’aspirine, sous le regard médusé des huiles de ce monde, dans une obscène obscurité, ou dans les latrines d’un bar branché.
Que je crève.
D’avoir fumé quelques unes de mes folies furieuses et loufoques, d’avoir tremblé comme un trémolo, transit d’extases extatiques, d’avoir senti dans un seul et même instant tantôt voler, tantôt vomir mon cœur gangrené dans un déhanchement de Rock-and-roll, d’avoir monnayé ma confiance à de fameux funambules brûleurs d’esprit et d’avoir marchandé des confidences à des statues glacées de glaise au visage albâtre.
Que je crève !
Sous les renoncements, sous les pustules de lointaines étoiles lacrymales, sous le crachin nacré des bruines démentielles, sous un ciel
de braise ou de satin, au bord des gouffres d’un bordel, entouré de reliques rutilantes et tonitruantes, cerclé de bocs de bières larmoyantes et de plaisirs que l’on reluque : immondes
femelles blondes platine, aguicheuses, vicieuses, ensorceleuses, la poitrine béante, la figure blafarde, bouffie par la débauche, les nichons déchirés par les canines affûtées des ivrognes sans
trogne, tout ça sous les lustres ambrés d’un pusillanime poison, dans ce trou de mort à rat où le luxe prolixe des salons se mêle à la sulfureuse volupté des déchets de ce monde.
Que je crève.
Savant illustre et adulé, tisseur de rêves riverains, aventurier mondain, grand écrivain ;
Que je crève d’avoir écrit tant de romans que je ne serai plus capable de palper une réalité quelconque, que mes héroïnes vampires, diablesses auréolées de mes inanités amoureuses, me sucent l’encre jusqu’aux os à petits feux diffus.
J’aurais parlé avec engagement, vérité, dégagement, sévérité des grandes questions qui touchent de près l’humanité, sans avoir vécu ailleurs que dans mes lignes. Que les possibilités de moi mêmes, jeunes merdaillons, beaux comme des apollons, forts comme des taureaux, férus de batailles, d’exploits et d’amours splendides, m’ouvrent des mondes improbables, qu’avec eux je monte toujours plus haut, préoccupé de leur seule gloire, signe avant coureur de ma postérité, portant au front l’orgueil organique des génies inhumains, que je conduise leurs flammes indicibles et incandescentes vers une trop fragile et respectable éternité ; à cet instant, que je retombe brûlé à vif, foudroyé d’un coup sec par mes rythmes grandioses et mes vertiges dans la soute à charbon d’un vieux transsibérien.
Que je crève ! Que je crève ! Que je crève.
Amèrement vainqueur d’avoir mater autant de femmes fières que mes bras ont pu en serrer,
heureux, comblé, d’avoir soumit les hommes autrement que par le force ; arrogant des beaux enfants que j’aurais eu aux quatre coins des continents ; prêchant la morale, et les valeurs patriarcales, adulé comme une idole des troupeaux idiots, étant un modèle d’intégrité pour tous, repus d’idylles et d’intrigues, chef de file des nations philosophes et des escouades scientifiques. Que je crève. Dans un lit parsemé d’édredons de soie blanche, de traversins damassés, entouré de tableaux de maîtres illustres, mes coffres remplient d’or, de grenat, de saphir, d’escarboucles, et avec sur le torse des croix de toute les patries.
Que je crève !
D’erreurs et de silences comme une fausse note, le dos rompus par les coups de ballet d’une mégère volage et acariâtre, que le temps a gâté, mais qui fut, un bref moment, dans ses tendres années celle que j’ai aimée.
Que je crève !
Sous les coups de trique d’un père méchant et alcoolique,
Ettouffé par la tendresse maladive d’une mère poule.
Pour une histoire louche, sous les coups de feu d’un flic corrompu,
Pour le parfum d’une passante éphémère,
Pour une fleur de peau de chagrin,
Pour un cunni sur un cul nu,
Pour une affaire de fric, de troc, de crack, de shit,
Pour un coup de cric sur le crâne.
Que je crève !
Héros d’un drame antique tel un César, un Hippolyte, héros d’un drame romantique, guillotiné par peur du ridicule, ou bouffon d’une comédie humaine.
Que je crève.
Que je me noie dans les chutes du Niagara, dans un simple verre d’eau, dans un proverbe en prose, dans un roman en vers, dans un rêve à l’eau de rose, la pine coincée dans un massif d’épine, la gueule ensanglantée, planté par un zonard, planté sur un lit d’hôpital, mourant d’une cirrhose, bourré d’emphètes, voyant la vie en rose.
Que je crève.
Voleur, vaux rien, vautour, râleur, glamour, sans queue… ni tête, désossé, prenant mes jambes à mon cou. Dans un sursaut de politesse, dans un sursaut d’éternuement, dans un concert de bastonnade, dans un boui-boui, à l’opéra, dans un champ de blé, sur le champ de Mars, d’une crise cardiaque, d’une crise de rêves, d’une crise de rire, d’une clope de trop, d’une femme de trop, d’un verre de trop, d’une folie de trop, au galop ou bien au trot.
Que je crève…Enfin.
De faim, de vin, demain.
Que je crève.
Tu n’en saurais rien.