Baisse des déficits : « un plan B existe »

Publié le 15 mai 2013 par Délis

Récession annoncée en France et en Europe, hausse du chômage et pouvoir d’achat en baisse : les Français ont le moral dans les chaussettes. Ont-ils des raisons d’espérer à court terme ? Délits d’Opinion a posé à la question à Eric HEYER.

Délits d’Opinion : Retard dans la réduction des déficits, pouvoir d’achat officiellement en baisse l’année dernière et baisse de la consommation des ménages en 2013 : le cercle vicieux des plans d’austérité semblent se dessiner en France. Les ménages se montrent d’ailleurs toujours plus pessimistes concernant l’avenir économique et social du pays. Quelles perspectives pour leur remonter le moral ?

Eric HEYER : Dans ce qui est annoncé aux Français, à peu près rien pour le moment. On va nous annoncer qu’il va falloir continuer en 2014 les efforts amorcés depuis 2011. On va nous expliquer que l’austérité est nécessaire et qu’il ne faut pas relâcher l’action entreprise.

Jusqu’à maintenant les efforts étaient concentrés sur l’augmentation des recettes, dorénavant il semble que l’on s’attachera à diminuer les dépenses. Ce qui est assez étonnant puisque cela suppose qu’on puisse trouver 60 à 70 milliards d’euro de dépenses inutiles.

Le choc de simplification est censé pouvoir dégager 2 milliards d’euros, pourquoi pas mais pour passer à 60M de diminutions de dépenses, on devra nécessairement réduire une partie des dépenses sociales, notamment les allocations familiales.

L’ensemble de ces dépenses seront mises à contribution, au final ce sont de nouveaux efforts qui seront demandés aux Français et qui vont toucher ici les classes moyennes.

Grossièrement on pourrait considérer que l’augmentation des impôts touchaient les 50% de Français les plus riches, désormais les baisses des dépenses vont toucher les 50% les plus pauvres.

Ce ne sont donc plus les mêmes qui vont faire les efforts.

Or selon les travaux de nombreux économistes, notamment de l’OFCE, l’effet multiplicateur associé à la dépense publique est plus important que celui associé à la hausse des impôts. Cette idée est d’ailleurs assez ancienne puisque Haavelmo, « Prix Nobel » d’économie en 1989, l’expliquait dans un article de 1945.

Au final je ne vois pas comment le moral des ménages pourrait s’améliorer dans les mois à venir. Courant 2013, on nous indiquera que la France est en retard sur la réduction de déficit prévue et qu’en conséquence les efforts seront prolongés dans le temps. Le tout avec un chômage dégradé, qui va accroître encore la morosité. La seule façon de redonner le moral aux Français serait de passer à un plan B.

Délits d’Opinion : Justement, existe-t-il un plan B à l’austérité en Europe ?

Eric HEYER : En juin 2013, Olivier BLANCHARD, chef économiste au Fonds monétaire international, reconnaissait qu’une partie des économistes poussant pour des plans d’austérité s’étaient trompés. L’OCDE explique également que l’Europe va trop vite dans l’austérité. On a donc aujourd’hui deux des grandes institutions libérales qui ont changé d’avis et précisent qu’il serait nécessaire d’aller moins vite dans l’austérité. La situation économique européenne fait que les multiplicateurs sont très élevés. Il n’y a aujourd’hui plus beaucoup d’économistes sérieux pour dire que le multiplicateur n’est pas très élevé. Il se situe probablement aujourd’hui entre 1 et 1,5.

Aujourd’hui le débat est simple : a-t-on le choix ou n’a-t-on pas le choix ?

Le Président reconnaît que l’austérité sape la croissance mais agit comme si le choix n’existait pas, notamment pour ne pas effrayer les investisseurs. Que faire d’autre ? Les propositions de relance faites par Jean-Luc Mélenchon ne sont pas bonnes car on serait seuls à faire de la relance.

En revanche il serait envisageable de faire de l’austérité plus mesurée, compatible avec l’exigence des traités européens. Or les traités nous disent que si un pays affiche un déficit public supérieur à 3% et une dette publique supérieure à 60%, cas de la France actuellement, la politique à mener doit limiter de 0,5 point de PIB le déficit chaque année. En 2013, cela fera trois ans qu’on fait 1,6 point de PIB de réduction par an. On va donc trois fois plus vite !

La conjoncture actuelle augmente le multiplicateur, il faut donc le limiter au maximum en respectant les traités. Ce discours est relativement simple et clair pour les investisseurs. Il permettrait ainsi de sortir de la récession tout en limitant les déficits mais également de faire baisser le chômage et la pauvreté.

L’OFCE a réalisé cette simulation : avec ce schéma on arrive à la même dette publique en 2017 qu’avec le niveau d’austérité actuel, avec en outre un taux de chômage de 2 points inférieurs.

Délits d’Opinion : Un chômage en hausse partout en Europe, des révisions de croissance à la baisse et parallèlement la France a de nouveau emprunté cette semaine à un taux historiquement bas, démontrant par la même la crédibilité de la politique économique menée par le Gouvernement auprès des marchés. Les politiques économiques ont-elles abandonné le peuple ?

Eric HEYER : Concernant les taux d’intérêt d’emprunt bas dont bénéficient la France, de nombreux experts expliquent que nous n’avons pas le choix dans notre politique économique puisque remettre en cause la réduction massive et rapide des déficits publics entraînerait une hausse des taux d’intérêt pour la France et donc augmenterait la charge de la dette. Or rien de dit que cette hypothèse soit juste.

Actuellement se trouve une quantité très importante de liquidités, or on constate ce qu’on appelle la fuite vers la qualité (fly to quality) : les investisseurs placent leurs liquidités sur les actifs les moins risqués dans le monde. Or tout le monde ne peut pas acheter des emprunts allemands. Le fait que les Etats-Unis aient un niveau de déficit et de dette plus élevés

Délits d’Opinion : Quels sont les principaux enseignements de la crise de Chypre ?

Eric HEYER : C’est un peu la continuité de la crise de 2008 où on se situait dans un système financier hypertrophié : les banques affichaient des bilans beaucoup trop importants par rapport à la richesse de leurs États. Lorsqu’elles se sont retrouvées en difficultés, les États ont injecté des liquidités, leur dette a alors fortement augmenté. Ce qu’on appelle aujourd’hui la crise de la dette publique ne provient pas de comportements des différents États depuis des années mais plutôt du système bancaire : il suffit de voir le niveau de dette publique de pays comme l’Espagne ou l’Irlande avant le début de la crise financière.

Pour la crise de Chypre, on se trouve dans une logique relativement comparable : le système bancaire était beaucoup trop important par rapport aux richesses du pays. L’Etat est intervenu : ça l’a mis en faillite. Le problème vient du fait qu’à la base on ait laissé un système bancaire et financière beaucoup trop important se développer.

Propos recueillis par Olivier