« ll y a / Une respiration il y a / Une respiration dans / La douleur il y a / Une respiration. »
Si vous tombez sur ce livre par hasard, vous n'apprendrez pas, qu'il y a cinq ans, le fils de David Grossman a été tué par un missile antichar au Liban. Peut-être l'auteur n'a-t-il pas voulu « exploiter » la mort de son fils. Il est, pourtant, important de le savoir pour approcher ce texte d'une pureté rarement égalée.
Des voix s'entremêlent, celles de parents endeuillés. La perte soudaine, contre-nature, creuse un trou béant d'incompréhension, de larmes et de colère. Le titre est si juste. Le texte est suspendu, il n'appartient à aucune catégorie.
Voici la marche des sans-noms, comment s'appeler autrement ?, qui luttent pour assimiler l'inacceptable. Les mots sont dits, chacun à sa manière. La douleur n'est pas figée mais au contraire en mouvement. Gracieux, profond, poétique, un texte inclassable à mettre en scène absolument. Un chant funèbre magistral et bouleversant. Les derniers mots de l'auteur m'ont ébranlée :
Le cœur me fend,
Mon trésor,
A la seule pensée
Que j’ai -
Peut-être -
Trouvé
Des mots
Pour le dire.
Extraits
« Ou n'est-ce là qu'une illusion / Nourrie par un cœur languissant ? / Par un cœur devenu fou ?» L'homme qui marche : «Il est mort -/ Je comprends presque / Le sens / Des sons : L'enfant / Est mort, / Je reconnais / Qu'il y a du vrai / Dans ces mots. Il est mort, / Il est / Mort. / Mais / Sa mort, / Sa mort / N'est pas morte.» L'enfant mort, faut-il tuer sa mort ? Les derniers mots du livre sont prononcés par le centaure, ils disent, «de manière précise» pour le coup, le combat du père et de l'écrivain : «Le cœur me fend, / Mon trésor, / A la seule pensée / Que j'ai -/ Peut-être - / Trouvé / Des mots / Pour le dire. »
« De penser : Comment vais-je pouvoir / Passer à septembre / Sachant qu'il va rester en août?". La femme dans un filet : Nous étions / Deux flocons humains, / Un enfant et sa mère, / Nous avons plané / Dans l'espace du monde/ Pendant six années / Entières / Qui étaient à mes yeux / Comme une poignée de jours, / Et nous étions comme une chanson / Pour enfants, / Tressée de légendes / Et de miracles- / Jusqu'au moment où une bouffée d'air a soufflé / Imperceptible / Un courant / L'agitation / D'un éventail / Un vent doux / Dans les feuilles- / Décrétant / Toi ici / Lui / Là-bas - / Tout est fini / Brisé / En mille morceaux. »
« Le chant / Est la langue / De mon deuil. »
« L’homme qui marche» : «Quelqu’un / Qui habitait un pays lointain m’a raconté / Un jour que dans sa langue / On dit de celui qui est mort / A la guerre qu’il est "tombé". / Ainsi de toi : Tu es tombé / Hors du temps, le temps / Dans lequel je demeure / Passe / Devant toi : Une silhouette seule / Sur un débarcadère / Par une nuit / Dont le noir / S’est échappé / Jusqu’à la dernière goutte. »