"Avant de peindre un bambou, laisse-le d'abord pousser en toi même" ou l'engagement des peintres chinois classiques

Par Vanessav

*source Wen Cheng Ming
"Engagé, le peintre l'est dans l'acte même de peindre. Techniquement, dès lors qu'un peintre chinois se met au travail, ses gestes ne sont jamais d'imitation ou de description face à  l'objet: ils relèvent de la projection d'un monde intérieur où les éléments du monde extérieur sont déjà pleinement assimilés. "Avant de peindre un bambou, laisse-le d'abord pousser en toi même", conseille Su Tung-po; " Que les monts et les fleuves jaillissent de l'infini du cœur!", exhorte Wang Yü.Pour qu'une telle pratique soit possible, la tradition exige que la vraie création soit précédée d'une longue période d'apprentissage au cours de laquelle le peintre assimile, dans toutes les nuances, formes et figures offertes par la Nature. Ainsi, quand vient le moment réel de peindre, la composition du tableau une fois pré-tracée, l'exécution s'effectue de façon instantanée et rythmique - traits de pinceau qui par leurs pleins et déliés impliquent à la fois forme et volume, mouvements et lumière -, comme si l'artiste avait peur d'interrompre les Souffles qui animent l'univers et relient toutes choses. C'est là la condition d'une vraie liberté, dans laquelle l'artiste se livre "corps et âme", et dont la tradition picturale chinoise a fait sa quête constante. Liberté qui permet toutes les formes d'expression, mais toujours en vue d'une totale réalisation. Qu'un Kuo Hsi ne prenne son pinceau qu'après avoir brûlé de l'encens et médité jusqu'à être littéralement possédé par le Sacré, qu'un Wang Mo ne puisse peindre qu'en état de complète ivresse, qu'un Wu Tao-tzu finisse par "disparaître" dans l'ultime espace qu'il vient de dessiner: il s'agit du même rêve, celui de l'Homme qui, à travers les phénomènes intériorisés et les Souffles domptés, s'accomplit lui-même et, du même coup, réalise son ardent désir de rejoindre l'invisible Origine. Regarder un tableau chinois, ce n'est jamais regarder un objet fini, posé en face: bien au contraire, le spectateur est invité à participer au moment secret où, poussé par l’Esprit, l'artiste projette trait à trait son monde intérieur, et pat là, à collaborer aux gestes mêmes de la Création."(extrait de "L'Espace du rêve, Mille ans de peinture chinoise" de François CHENG)