La sécurité aérienne ŕ coeur ouvert.
ŤNosť pays n’ont plus connu d’accident aérien majeur depuis 2009 : c’est Jean-Paul Troadec, directeur du BEA, qui le souligne. C’est évidemment un sujet de grande satisfaction, bien qu’il ne s’agisse en aucun cas d’y voir une raison de relâcher des efforts sans cesse renouvelés. Bien au contraire, et quoi qu’en disent certains observateurs mal intentionnés, le transport aérien est plus sűr que jamais. Mais le plus petit dérapage, la moindre victime, apparaissent d’autant plus violemment comme un véritable drame humain. Aussi, plus que jamais, convient-il d’en parler, tout simplement parce que ce n’est heureusement plus un sujet tabou.
S’il reste beaucoup ŕ faire, haute technique mise ŕ part, et au-delŕ de la formation des pilotes, du bon usage du retour d’expérience, etc., c’est plutôt du côté des médias qu’il convient de regarder. Leurs faiblesses sont bien réelles parce que les journalistes spécialisés se font rares et, pour la plupart, sont noyés dans des rubriques économiques. Ils arrivent, paradoxalement, qu’ils soient ŕ l’origine de mauvais humour : les journaux n’ont pas souvent besoin d’eux...précisément en raison de la raréfaction des accidents. Un raisonnement dont il n’est évidemment pas question de se contenter.
Les médias ? Quels médias ? Hervé Pargue, spécialiste des médias sociaux (il bannit l’expression Ťréseaux sociauxť), mieux que d’autres, a étudié l’évolution qui a profondément transformé la situation en peu d’années. Il confirme que Twitter, Facebook, YouTube, ont profondément changé la donne. ŤFacebook est devenu un véritable acteur en termes d’opinion publique,ť note-t-il, remarquant au passage que les journalistes, tout comme les élus, sont les premiers présents sur Twitter. Il n’y a lŕ rien d’étonnant, si ce n’est que c’est désormais lŕ que peut se développer la désinformation, que se propagent les rumeurs, que se forgent les certitudes d’une opinion publique ŕ la recherche de nouveaux repčres supposés neutres et crédibles.
En écho ŕ cette analyse, Frédéric Béniada (France Info), craint les effets néfastes des fantasmes, des idées reçues, dit qu’un accident constitue aussi la rupture d’une normalité, d’un lien social. Et il formule une analyse plutôt sombre des relations entre médias et acteurs de la sécurité aérienne, notamment parce que l’opinion réclame l’identification rapide de coupables contre toute évidence, les enquętes menées ŕ la recherche des causes d’un crash étant inévitablement longues et complexes. Or, exemple choisi parmi d’autres, męme l’Agence France-Presse ne compte pas de spécialiste de ces questions au sein de sa rédaction.
Germain Chambost, pilote, ancien grand reporter, écrivain, abonde dans le męme sens : s’adressant ŕ un aréopage d’acteurs reconnus de la sécurité aérienne réunis par l’Académie de l’air et de l’espace, il a livré le fond de sa pensée. ŤVous ne savez pas comment fonctionne la presseť, s’est-il exclamé. Jean-Charles Tréhan, responsable des relations avec les médias d’Air France, a pour sa part regretté la course aux scoops, la recherche du sensationnalisme et, surtout, Ťl’éclatement du monde des médias, créant plus de cases ŕ occuperť. La compagnie transporte 150.000 passagers par jour, sa marque inclut le mot ŤFranceť, elle génčre 17.000 articles et 700 dépęches par an et, chaque jour, 6.000 mentions sur Internet.
Est-ce gérable ? Michel Guérard, l’un des principaux responsables des questions de sécurité d’Airbus, en arrive ŕ poser davantage de questions qu’il ne peut formuler de réponses. Il s’interroge, en effet, sur la surexposition médiatique, sur la tyrannie de la transparence : est-elle temporaire ou pas ? On répond pour lui que la réponse va de soi.
Et les pilotes, fréquemment mis au banc des accusés ? Sont-ils préoccupés ou frustrés par les propos qui leur sont consacrés dans les médias ? Yves Deshayes, président du SNPL Alpa France, avance prudemment. Mais détecte une défiance vis-ŕ-vis d’un syndicat qui parle technique.
Il faudra mettre de l’ordre dans ces idées, mieux tenir compte des médias sociaux, peut-ętre tenter de freiner la course contre la montre et, en termes simples, mieux communiquer. Mais l’Académie de l’air et de l’espace vient d’utilement confirmer que le dialogue est ŕ nouveau possible. C’est, en soi, une excellente nouvelle.
Pierre Sparaco - AeroMorning