Argh! Ce festival n’est pas encore commencé que déjà, ça commence mal…
Notre voyage en train de Paris à Cannes s’est en effet avéré assez cauchemardesque.
Déjà parce que la SNCF a pris du retard dans la préparation du TGV et n’a annoncé la voie de stationnement du train qu’une dizaine de minutes avant l’heure théorique de départ. Evidemment, tous les voyageurs se sont dirigés d’un bloc vers ledit quai, ce qui n’a pas manqué de générer une certaine cohue, chacun jouant des coudes et tentant de diriger sa valise roulante dans la mêlée. Il faut dire que cette course n’était pas sans enjeu. Ces TGV-là ne sont pas conçus pour accueillir de grosses quantités de bagages et, les jours précédant l’ouverture du festival, ils voient débarquer plus de voyageurs qu’à l’ordinaire, et bien plus chargés en valises, sacs et autres types de paquetages. Si bien qu’il est parfois très difficile – voire impossible – de trouver un emplacement libre pour y poser ses bagages.
Mais bon, de ce point de vue-là, nous n’avons pas eu de problème. Etant situés pile devant la porte du wagon – coup de chance – nous avons pu caser nos valises en moins de deux. Hop! Nickel!
C’est après que les choses se sont gâtées… ELLE est entrée dans le wagon… Une vieille femme totalement stressée, au bord de la crise de nerfs.
On a d’abord entendu sa voix, horripilante, un mix entre la voix française, éraillée, de Miss Piggy, des Muppets, et celle, suraigüe, d’Elmo, la peluche rigolarde de Sésame Street. Docteur, c’est normal si j’ai les oreilles qui saignent ?
“OOOOOOhhhh! Mais oh là là, comment vais-je faire pour mettre mes bagages. Il n’y a plus de place! A l’aide!!!! A l’aide!!!!”.
Pfiuuu, balèze la vieille. Une performance dramatique digne de l’actors studio. Bon, en même temps, elle a l’air assez âgée pour avoir fréquenté Stanislavski dans sa jeunesse…
Une jeune femme pleine de bonne volonté a eu pitié d’elle et l’a aidée à caser ses valises, à agencer le reste de ses paquets. Mais la grand-mère continuait d’éructer de sa voix de crécelle : “NOOOON! Attention!!! C’est mon abat-jour, c’est fragile! Pas comme ça, pas ici! Bon ça suffit Mademoiselle, je l’emporte avec moi! Allez montrez-moi ma place, J’ai la 22! “.
D’un stoïcisme admirable, à faire passer le Ed Harris d’Appolo 13 pour un surexcité, la gentille demoiselle a dirigé la mémé hystérique à son siège… Juste à côté de moi. Nan mais allo quoi! T’as 50 places dans le wagon et il fallait que ça me tombe dessus.
Deuxième contact avec la créature. olfactif. Non, je n’ai pas reniflé volontairement – j’ai vu Didier et je sais qu’on “ ne renifle le cul de personne” – Mes narines ont été agressées. Parfaitement monsieur l’Agent. J’vous jure, ça fouettait la mort. Un mélange de cadavre et d’encaustique. Genre le retour du fils de la vengeance de la Momie. Quelqu’un a appelé Le Louvre pour vérifier s’ils ont toutes leurs momies? Et que fait Adèle Blanc-Sec?
Et là, je l’ai vue. Et j’ai failli avoir une attaque! Put… elle ressemblait à la vieille gitane de Jusqu’en enfer, de Sam Raimi, sans l’oeil bizarroïde, d’accord, mais quand même, le coup de flippe!!! En tout cas, ça confirme le côté surnaturel de la créature.
Je n’en menais pas large pendant que la sorcière s’aménageait son petit nid douillet juste à côté de moi. Dix minutes à essayer de caser des trucs au-dessus, en dessous, en me bousculant au passage, sinon c’est pas drôle. Et en continuant de m’agresser les oreilles et les narines.
En attendant le troisième type, le second est venu : son mari. Tranquillou billou, après la bataille. Monsieur a posé son royal postérieur sur le siège à côté de Madame et a attendu qu’elle sorte le pic-nic. Et vas-y que je te sors les victuailles, la motte de beurre, le fromage, les chips et tutti quanti… Au moins, pendant ce temps, la vieille folle allait arrêter de parler. Du moins le pensai-je naïvement…
”Tu veux du lait? Dis ??? Tu veux pas du lait??? tu veux du laiiiiit???”
Le vieux sphinx avait beau lui dire non, la momie insistait. “Tu veux du laiiiiit? Non? Oui? Mais articule, tu sais bien que je suis sourde”. Le reste du wagon aussi, maintenant. Ou pas loin…
Après avoir mangé et bu, la vieille peau est partie se soulager aux toilettes. La contrôleuse en a profité pour débarquer en demandant : “A qui est le lampadaire au milieu du passage dans la zone des bagages?”
Devinez…
Le vieux a admis que c’était à lui. La contrôleuse lui a dit que l’objet n’était pas un bagage conforme, que le type était en infraction et devait payer une amende de 45 euros pour le transport de bagage dangereux. C’est le règlement. Le pépère est devenu furieux. “Hors de question de payer! C’est marqué nulle part qu’on n’a pas le droit de promener son lampadaire! Et je refuse de présenter un papier d’identité, ce n’est pas obligatoire, que je sache!”. Excédée, la contrôleuse a dit qu’elle allait prévenir la police.
La vieille est revenue à ce moment précis. Elle a juste entendu les mots “lampadaire” et “police”. Crise de larmes et nouvel acte de la tragédie. “NOOOOON! La Police??? J’ai peuuuuuuurrrr! Qu’est-ce qui se passe avec la lampe, la police???” Son mari a essayé de lui expliquer ce qui s’était passé, pour la calmer. Raté. Quand la mémé a appris qu’il était interdit de transporter des objets encombrants en train, elle s’est mise dans tous ses états. Tragedia del arte, acte 3…
“Quoi????? Mais comment on va faire pour déménager le buffet de la montagne. J’ai déjà acheté les billets de train. A quoi ça sert d’y aller si on ne peut pas ramener le meuble?”.
Ah ben finalement, on a eu de la chance dans notre malheur. Un peu plus et on se tapait l’armoire normande dans le wagon dites donc… Nan mais put…, sans déconner…
Un autre contrôleur est arrivé pour raisonner le gars et sa femme. Refus catégorique du vieux. La vieille, sourde comme un pot (de laiiiiiiiit), ne comprenait rien de ce qui se disait…
Finalement, une solution a été trouvée : le lampadaire bleu serait abandonné sur le quai a Aix-en-Provence, au prochain arrêt. Plus de colis dangereux, plus d’amende… Simple et efficace.
Sauf que la sorcière, qui n’avait rien capté a insisté pour avoir le fin mot de l’histoire. “Mais diiis-moi! Qu’est-ce qui va se passer? La police va veniiiir??? J’ai peurrrrrrr!”
Son mari a fini par lâcher le coup du lampadaire abandonné. Aïe!
”NOOOOOOOOOOOOOOON (cri déchirant de douleur – pour mes tympans surtout- A côté, le “NOOON” de Luke Skywalker apprenant que Darth Vader est son père, c’est de la gnognotte) PAS MON LAMPADAIRE! JE M’EN FOUS JE PAIE! IL EST BEAU CE LAMPADAIRE BLEU!” .
Hop, Toutankhamon s’est transformée en Usain Bolt? Elle a sprinté pour retrouver les contrôleur et payé l’amende.
The end?
Ben non, trop simple. Agitée, elle a multiplié les va-et-vient entre sa place pour être sûre que les contrôleurs ne jettent pas son beau lampadaire bleu alors qu’elle s’est acquittée de l’amende… Au passage, j’ai pris encore quelques coups de coudes. Son bazar, stocké sous le siège s’est renversé dans l’allée, ce qui a considérablement compliqué le trajet des autres voyageurs vers les toilettes ou la voiture-bar (en plus du lampadaire bleu au milieu du passage).
Mais le pire, c’est que le flot de paroles ne s’est pas tari, loin de là. Hop, un coup je fais ma tirade sur ce pauvre lampadaire bleu qui a failli être (aban)donné à des inconnus sur un quai de gare. Un coup je pense au buffet de la montagne. Mais comment vont-ils faire? Un coup, j’engueule mon salaud de mari qui a proposé d’abandonner la précieuse lampe. Oui, c’est un peu le Gollum de la lampe hallogène, cette vieille toupie… “Ma précieuse, ma précieuse….”.
Le sketch a duré près de trois heures. Il a été écourté, parce que le vilain mari, vaincu par les cris stridents de sa mégère, a failli faire une attaque. Vraiment, j’ai cru qu’il allait claquer sur place. Heureusement, ça a coupé le sifflet (temporairement) à la vieille chouette et il a pu se requinquer un peu. Si on avait dû en plus arrêter le train pour cause de malaise voyageur, ça aurait été le pompon.
Ils sont descendus à Toulon. Et d’un coup, le wagon entier a poussé un immense ouf de soulagement.
Ce qu’il faut retenir de cette histoire? Qu’un banal lampadaire halogène peut être source de sérieuse nuisances. Que non, on ne peut pas transformer un TGV en camion de déménagement. Que maintenant, je sais qui a inspiré à Sam Raimi son Jusqu’en enfer – un titre qui colle bien avec ce voyage mouvementé – et que maintenant, c’est moi qui ai “peeuuuuuuur”.
A demain pour le vrai début de nos péripéties cannoises, que l’on espère plus sereines…