Son Egon Schiele, vivre et mourir (Casterman) à peine refermé, Xavier Coste offre une nouvelle biographie dessinée, cette fois consacrée à un poète maudit : Rimbaud, l’indésirable (qui paraît aujourd’hui, chez le même éditeur). Il a tout juste 24 ans ; peut-être est-ce la raison pour laquelle son talent le pousse à s’intéresser plus particulièrement à des destins de jeunes artistes, morts trop tôt, auréolés de façon posthume.
Avec un style désormais reconnaissable, il dit avoir voulu « prendre le parti de raconter les deux vies de Rimbaud : le jeune poète arriviste, en mal de reconnaissance, qui vit une liaison sulfureuse et destructrice avec Paul Verlaine, et le trentenaire fatigué d’écrire et de vivre, qui se tue à la tâche en Afrique. » Les deux profils saisissants d’un même écorché vif, l’un des plus grands poètes de la langue française. Dans ce nouvel album, Xavier Coste rend un bien bel hommage, sans concession, à l’auteur des Illuminations, apportant une pierre supplémentaire à son mystère.
Xavier Coste, quel a été votre chemin, avant la rencontre avec le dormeur du Val ?
XAVIER COSTE : J’ai, comme beaucoup, découvert l’œuvre d’Arthur Rimbaud à travers les programmes du lycée. Je ne m’étais jamais vraiment intéressé à la poésie, et c’est en menant des recherches sur la vie de Rimbaud que j’ai été fasciné par son parcours et que j’en suis venu à réellement apprécier son œuvre. Sa vie est tellement romanesque, hors-norme, qu’elle ne peut laisser indifférent.
Après la fougue juvénile d’Egon Schiele, vous dressez le portrait d’Arthur Rimbaud, et vous attaquez à cette « œuvre de jeunesse éternelle ». D’où vous vient cette attirance pour les artistes que l’on dit « maudits », emportés tôt ?
Pour Schiele, je me demandais ce que sa peinture serait devenue s’il n’était pas mort aussi jeune. Les œuvres que l’on connait de lui n’auraient dû être que ses œuvres de jeunesses… Ça a complètement changé le regard que je portais à son travail, et c’est cette problématique qui me touchait.
Pour Rimbaud, je voulais comprendre comment un génie pouvait, quasiment du jour au lendemain, cesser d’écrire et balayer toute une partie de sa vie (et je n’ai toujours pas la réponse, en fait !).
Ces derniers mois ont vu des archives sortir de terre, entourant ou détourant un peu plus le « mystère Rimbaud » après sa fuite. Comment se prépare un tel album ? Quelles ont été vos sources d’études principales (littéraires, universitaires, voire cinématographiques) ?
Pour un sujet tel que Rimbaud, je disposais heureusement d’une documentation très importante. J’ai lu beaucoup d’ouvrages mais celui qui m’a été le plus utile pour la bande dessinée et qui est le plus riche à mon sens est le Arthur Rimbaud de Jean-Jacques Lefrère, paru chez Fayard. Il a mené un travail de documentation impressionnant qui fait que pour chaque période, chaque élément de la vie de Rimbaud, il nous propose bout à bout tous les témoignages existants. Rimbaud en Abyssinie d’Alain Borer m’a été utile également.
Au niveau des costumes, je me suis parfois attardé sur le film Rimbaud-Verlaine, éclipse totale, avec Leonardo Di Caprio. En revoyant le film plusieurs fois, je me suis rendu compte que la quasi-totalité des dialogues sont des extraits de lettres, de documents. Le film est très bien documenté.
Il y a aussi eu un téléfilm français sur la partie Africaine de Rimbaud, L’Homme aux semelles de vent, avec un Rimbaud campé avec talent par Laurent Male.
On pourrait accoler au nom du poète mille adjectifs au préfixe privatif (in-cernable, in-saisissable, in-atteignable, voire l’auteur d’une œuvre in-intelligible, selon le rapport policier datant du 1er août 1873 que vous citez en exergue…) ; vous avez fait le choix d’indésirable. Pour quelles raisons ?
« L’indésirable » m’a été inspiré par le comportement d’Arthur Rimbaud lorsque, fraîchement débarqué à Paris, il est rejeté par tous ses hôtes. Il est accueilli d’abord chez les parents de Paul Verlaine, puis loge chez différents amis de celui-ci, et à chaque fois il se rend tellement détestable qu’il finit très rapidement à la porte. En plus de cela, il détériore toutes les relations qu’entretient Paul Verlaine avec ses amis poètes.
Après le mal de Vienne, c’est une Paris incendiée, une Londres charbonneuse et une Afrique maladive que vous dessinez, avec toujours ces quelques respirations en campagnes, loin des capitales. Vos paysages, dans leurs couleurs étirées, pâles, presque délavées et fondues, semblent offrir un écho aux pensées des artistes, à leurs tourments et à leurs errances… Pourrait-on dire que vous faites le choix de peindre, au-delà du corps de vos personnages, le corps des villes, jusqu’à les confondre totalement ?
Je pense qu’on est toujours influencé par le lieu, et les paysages, dans lesquels on vit.
Rimbaud supportait très mal les chaleurs en Afrique, se plaignait tout le temps d’être malade, il fallait que je dépeigne une Afrique aride et très ensoleillée. Il est rejeté par le paysage en quelques sortes.
À part cela, j’ai aimé ressusciter le vieux Londres. Car aujourd’hui, à part quelques rues ou quelques bâtiments, il ne reste plus rien de cette époque. Bien que la ville fût charbonneuse, assez sale, cela possède quand même un certain charme.
Comment s’est effectué le choix des citations et des références – des lettres de Verlaine à Rimbaud, et inversement, des reproductions de poèmes, des pensées d’écrivains et d’artistes à propos du « jeune poète »… ?
Votre album aurait pu se terminer sur la mort de la sœur de Rimbaud – qui signe la mort du poète en tant que « poète » – mais vous allez plus loin, de l’autre côté de la Méditerranée où certaines de ses traces ont été authentifiées. Comment avez-vous démêlé l’hypothétique du vrai et ainsi reconstitué la « seconde vie » d’Arthur Rimbaud ?
En faisant mes recherches, je m’attendais à ce qu’il y ait plus d’incertitudes sur la vie que Rimbaud a menée en Afrique. Ces dernières années, les spécialistes ont su faire la part du vrai et du faux sur beaucoup de choses. La thèse du Rimbaud vendeur d’esclaves, par exemple, a été complètement balayée ! C’est une légende qui avait longtemps perduré.
En fin d’album, comme Schiele, le poète se retrouve amoindri face à son propre reflet dans le miroir, puis en position de fœtus au sol, seul, et enfin alité. Doit-on voir dans ces cases votre marque d’auteur ? Votre signature ?
Je voyais ça comme un clin d’œil à Egon Schiele, effectivement. Et comme à la fin de sa vie, Arthur Rimbaud tombait toujours de ses béquilles, cela faisait sens.
Et après le jeune peintre… après le jeune poète… Quels sont vos projets ?
Je démarre un nouveau projet, pour l’instant il est un peu tôt pour en dire plus. Ce sera une fiction cette fois, et qui se déroulera en partie à Paris durant la grande crue de 1910. Visuellement, je trouve ça impressionnant de mettre en scène Paris sous les eaux !
Propos recueillis par Cathia Engelbach