En 1787, l’Angleterre vient de perdre l’Amérique suite à la
guerre d’indépendance et les geôles londoniennes débordent. Le roi George III
et ses conseillers, souhaitant à la fois conquérir de nouvelles terres et faire
de la place dans les prisons, décident d’expédier 1500 détenus vers la Terra
Australis Incognita découverte par James Cook vingt ans plus tôt pour créer une
nouvelle colonie. Soldats, bagnards et même quelques prisonnières embarquent
sur onze navires pour une traversée de neuf mois. A 24 000 kilomètres de
la perfide Albion, les premiers pas dans une anse soigneusement choisie et
baptisée Sydney seront tout sauf une sinécure…
Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux prennent leur
temps pour retracer la saga de ces pionniers envoyés sans états d'âme afin de peupler la future
Australie. Ils relatent dans le détail la préparation de l’expédition, le
périple en mer et l’installation définitive sur place. Entrelaçant les points
de vue de nombreux protagonistes réels ou fictifs (Arthur Philipp, premier gouverneur
de la colonie, Caesar l’ancien esclave ayant fui l’Amérique, John, orphelin
condamné à la déportation alors qu’il n’avait que 9 ans ou encore Bennelong un
aborigène capturé par les arrivants afin de lui enseigner leur langue et l’utiliser
comme interprète auprès des populations locales), ils créent un véritable
docu-fiction qui, bien que souffrant de quelques longueurs, s’avère dans l’ensemble
passionnant.
Cet album est une brique, un
pavé, que dis-je, un parpaing ! Pas simple de manipuler un tel objet-livre.
Mais une fois trouvée la position de lecture idéale, on se laisse embarquer
avec plaisir vers ce fascinant pays-continent qu'est l'Australie. Il y a forcément un coté un peu
scolaire dans cette fresque historique foisonnante. Mais ce style didactique n’est
pas gênant car l’équilibre entre la petite et la grande histoire est
parfaitement trouvé. A mon goût les pages dédiées aux préparatifs et à la
traversée occupent une place trop importante par rapport à l’installation sur
place, mais cela reste un détail.
Niveau dessin, Philippe Nicloux s’est
sans conteste lancé dans le projet le plus ambitieux de sa carrière. Quatre
années auront été nécessaires pour réaliser l’ensemble. Son trait souple et
nerveux est un régal de maîtrise. La majeure partie de l’album se déroulant
dans des espaces sombres et confinés (prison ou bateau), le travail sur la
lumière et « les éclairages » a demandé une minutie particulière. L’utilisation
de nombreuses nuances de gris permet par ailleurs de jouer sur les différentes
atmosphères, des rues mal famées de Londres au bush australien. Aussi
incroyable que cela puisse paraître, toutes les planches ont été réalisées par
ordinateur avec le logiciel Manga Studio. J’avoue je suis plus que bluffé par
le résultat final !
Ambitieux, instructif et
graphiquement imparable, Terra Australis est une incontestable réussite. Ce n’est
certes pas un coup de cœur mais je dois reconnaître que des leçons d’histoire
comme celle-là, j’en veux bien tous les jours.
PS : coup de chapeau en
passant à l’éditeur qui a choisi de publier ce roman graphique d’un bloc plutôt
que de le « découper » en cinq tomes de 100 pages. Évidemment, c’est
un investissement pour le lecteur mais c’est toujours moins cher que cinq fois quinze euros.
Une lecture commune que j’ai une
nouvelle fois le plaisir de partager avec Mo’. Décidément, on devient inséparables
quand il s’agit de parler BD le mercredi. Et si je vous disais que l’on
remet ça la semaine prochaine…
Terra Australis de Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux.
Glénat, 2013. 512 pages. 45 euros.
L'avis d'Yvan