Une légitimité de l’État remise en cause
La légitimité de l’État à valider ou invalider les mouvements sociaux et citoyens au nom de l’intérêt général paraît aujourd’hui cependant remise en cause par des transformations structurelles de la société française. D’une part, la pertinence d’un monopole national sur la définition de l’intérêt général est remise en cause par les reconfigurations territoriales du pouvoir : décentralisation des pouvoirs publics internes sur le territoire, et développement de logiques transnationales mettant l’accent sur l’hétérogénéité des espaces et des solutions à promouvoir.D’autre part, l’autonomie croissante de la société civile, qui paraît – au-delà de sa fonction revendicatrice – de plus en plus à même de mettre en œuvre des solutions originales pour défendre l’intérêt général (grâce à sa capacité à établir des actions viables d’un point de vue économique, à son expertise du terrain et à la confiance qu’elle inspire à la société), réinterroge le monopole de l’État sur la définition et la mise en pratique de l’intérêt général.
Une participation plus libre de la société civile
Ces reconfigurations actuelles rendent saillantes différentes tensions qui soulignent la nécessité de rénover aujourd’hui l’intérêt général. D’un point de vue politique, il convient de distinguer la volonté de conserver une définition transcendante de l’intérêt général et la nécessité de promouvoir les solutions les plus efficaces pour mettre en œuvre ce dernier. Si les enjeux définitionnels reposent nécessairement sur une élaboration démocratique de l’intérêt général (que celle-ci soit ancrée dans une démocratie représentative ou participative), les enjeux pratiques de l’intérêt général pourraient donner cours à une participation plus libre de la société civile.D’un point de vue économique, il paraît fondamental de prendre en compte la réalité actuelle des sources de financements de la société civile, afin de ne pas brider un tiers secteur qui n’est plus sous la seule tutelle de l’Etat, et dont les rapports avec ce dernier sont aujourd’hui davantage de l’ordre de la convention que de la subvention. Quant aux dépenses publiques sur les questions d’intérêt général, nous pourrions interroger, à l’aune de la performance actuelle de la société civile, la possibilité de mettre l’accent non plus sur des réformes politiques globales, mais sur le financement de programmes pilotes, qui mettraient davantage à contribution l’imagination citoyenne.
Enfin, une rénovation juridique doit être encouragée, qui stabilise les dispositifs autour de la question d’intérêt général afin de sécuriser les investissements et engagements de la société civile, et qui prolonge, selon le mouvement actuel, une régulation des enjeux d’intérêt général par la "soft law" afin de laisser place à l’initiative citoyenne.
À propos des auteurs : Philippe-Henri Dutheil et Antoine Vaccaro sont l’auteur de l’étude "La rénovation de l’intérêt général en France". Autour de cinq grands thèmes, cette dernière regroupe une série de 36 propositions.