Bon, puisque ce blog n’est pas que la fête du slip (même si le changement de nom temporaire pourrait laisser croire le contraire) on va causer un peu boulot. Je rédige ce billet à chaud suite à un coup de téléphone qui m’a légèrement agacé. Une partie non négligeable de mon travail consiste à animer un prix littéraire pour les élèves de CM2/6ème de mon département. C’est mon petit bébé à moi, créé il y a quelques années. Alors que la 5ème édition se termine, le succès est au rendez-vous puisque nous sommes passés de 500 à près de 1300 élèves participants. Je le dis d’autant plus facilement que je n’y suis pas pour grand chose, les vrais responsables de ce succès étant les enseignants qui permettent à ce prix d’exister et de grandir ainsi que les bénévoles de mon comité de sélection qui n’hésitent jamais à prendre le temps nécessaire pour choisir avec le plus grand sérieux les livres proposés aux élèves.
Une des caractéristiques de ce prix est de s’adresser aux « petits lecteurs », c'est-à-dire ces enfants qui n’ont pas de problèmes particuliers pour lire mais qui ne voient aucun intérêt dans cette activité. Le pari a donc été au départ de se dire : trouvons les livres qui vont leur faire comprendre que la lecture peut être un plaisir (oui, je sais, nous sommes de doux rêveurs…). Pour relever le défi, nous avons construit nos sélections à partir de critères simples : des livres récents, pour les 9-12 ans, de moins de 150 pages, abordant des thématiques très différentes et ne s’arrêtant à aucun genre et à aucun support. Nous avons dans notre sélection des romans mais aussi de la BD ou des albums jeunesse. Or, tous les lauréats depuis la création du prix sont des « livres d’images ».
Chaque année, en tant qu’organisateur, j’ai droit au même reproche de la part de certains enseignants : « Les livres de votre sélection ne sont pas sur un pied d’égalité puisque l’on sait très bien que les enfants vont toujours préférer l’album ou la BD » (sous-entendu : puisque les gamins d’aujourd’hui ne lisent plus et sont de grosses feignasses, ils vont choisir le livre le plus facile…). Soit. Encore faudrait-il que la BD soit une lecture facile mais c’est un autre problème. L’an dernier, une enseignante m’a fait ce reproche devant ses élèves alors que j’étais en train de leur annoncer le palmarès. Je les ai pris à témoin en leur demandant : « imaginez que nous ayons dans notre sélection une BD et 4 romans mais que la BD soit complètement nulle, sans aucun intérêt et dessinée avec les pieds. Est-ce que vous allez voter pour elle juste parce qu’il y a des images dedans ? » Il y a toujours un ou deux malins pour répondre « oui » mais la grande majorité a lancé un « non » franc et massif. Là-dessus, l’enseignante intervient pour dire : « mais de toute façon c’est impossible puisque si vous mettez une BD dans la sélection, c’est qu’elle est de qualité ! » Je me suis tourné vers elle en souriant : « ben voila, vous avez tout compris. Peu importe le genre ou le support, ce qui compte c’est la qualité du livre. »
Avec ce prix, je me fiche royalement du palmarès. Bien sûr il est important pour les enfants de voter et ils peuvent être fiers de leur choix. Mais moi ce qui m’intéresse c’est de provoquer une rencontre improbable et fructueuse entre un livre et un petit lecteur qui va tomber sous le charme. Et si pour ça il faut passer par le biais d’une BD, aucun problème. Rien de plus merveilleux que de recueillir des témoignages de documentalistes me disant que certains élèves de 5ème ayant participé l’année précédente viennent dès le mois de septembre au CDI pour découvrir la nouvelle sélection et demander s’ils pourront la lire. Les résultats parlent pour nous de toute façon puisque neuf enseignants sur dix ayant participé au prix souhaitent renouveler le projet.
Évidemment mon point de vue est discutable mais je serai toujours le premier à défendre la sélection de mon comité. L’an dernier, le grand gagnant (Les sales histoires de Félicien Moutarde) a fait jaser. Il a surpris par son coté irrévérencieux et politiquement incorrect mais les élèves ont adoré cet odieux bébé. Il y a deux ans, des parents ont refusé que leurs enfants lisent Le sauvage, un roman graphique assez violent aux illustrations parfois torturées et bourré de fautes d’orthographe (normal puisque c’est le journal intime d’un ado…). Inutile de vous dire que Le sauvage a gagné haut la main. Cette année, il me manque encore les votes de quelques classes mais il ne fait aucun doute que L’enfant cachée va remporter la 5ème édition. Quiconque a lu cette BD ne peut que reconnaître son indiscutable qualité. Et difficile d’imaginer que ce titre a été choisi pour sa facilité. Je vais me faire un plaisir d’annoncer ce résultat dans les classes dès la semaine prochaine, quitte à essuyer quelques remarques désagréables d’adultes n’ayant pas compris que l’aspect « prix littéraire » n’est qu’un prétexte pour amener les élèves vers la lecture.
Le pire, c’est que la sélection de la 6ème édition qui se profile risque de proposer à la fois une BD et un album jeunesse au milieu de trois romans. J’ai pas fini d’en entendre parler...