Et rêver d'histoires
Évocatoires
Aux contours effacés ?
Les vieilles chambres
Veuves de pas
Qui sentent tout bas
L'iris et l'ambre ;
La pâleur des portraits,
Les reliques usées
Que des morts ont baisées,
Chère, je voudrais
Qu'elles vous soient chères,
Et vous parlent un peu
D'un coeur poussiéreux
Et plein de mystère.*
ainsi vous sauriez ce par quoi j'ai commencé ma vie. Ce que je croyais être la vie.
Garçon, remettez la même chose pour madame.
Voyez-vous, j'ai commencé à l'envers, par la fin, le cercueil en moins, quoique..
J'ai commencé par les souvenirs, par la nostalgie, par le « certifié conforme » à mes rêves de vieillesse, par les charentaises, par la routine installée bien avant notre arrivée.
A vingt-cinq ans j'étais amidonné et sentais la lavande des sachets cachés dans le linge, je remontais l'horloge comtoise avec courtoisie, je décrochais et raccrochais les rideaux que Marie-Bernadette lavait une fois par mois, je prenais un calva thérapeuthique deux fois par semaine
Nous allions à la messe aussi souvent que l'exigeait le calendrier chrétien, nous serrions la main du curé, il mangeait une fois par mois avec nous (il adore les madeleines de Marie-Bernadette qui ne manquait pas de lui en faire pour l'occasion, et aussi parce qu'elle pensait marquer des points de foi et devenir la meilleure chrétienne de la région..)
Nous avons placé nos biens comme il fallait, nos testaments étaient rédigés, et facilement modifiables.. Nos journées étaient parfaitement rangées. Chaque chose avait sa place, chaque étagère, chaque tiroir était compartimenté selon un ordre précis et apparemment ancestral.
Nous lisions le mode d'emploi de notre vie, papier à musique réglée à la note près ; nous étions incapables de la composer nous-mêmes.
Nous partions en vacances avec nos familles respectives, juillet pour l'une, août pour l'autre, chacune avait droit au même nombre de jours, d'activités.. au lieu de partir au milieu de la nuit sans savoir où, avec juste un sac et une brosse à dents.
Nous mettions des fleurs sur les tombes de nos ancêtres au lieu de s'en faire des couronnes de printemps et de courir à travers champs
Nous rédigions les menus de la semaine, la liste des courses au lieu de nous rassasier l'un de l'autre, jusqu'à en oublier le goût de toute autre nourriture. Nous préparions les cartes de vœux d'une année sur l'autre avec une liste de noms de moins en moins longue.
Nous aérions les matelas deux fois par mois, le lundi, au lieu de les .. Elle lavait les draps le lundi et les repassait le mardi. L'on jouait plus souvent au scrabble qu'on n'avait de relations sexuelles consenties et conventionnelles.
Nous donnions aux associations caritatives, à ceux qu'on croyait plus malheureux que nous.
A vingt-cinq ans je croyais être dans le droit, ou sur le bon chemin, je pensais avoir la vie qu'il fallait, bâtie sur de bonnes fondations sociales, économiques et affectives.
Je croyais être instruit, je croyais aimer la poésie... et puis...
- Et puis ?
- Un soir elle est passée devant la maison..
- Qui ça donc ?
- Ma vie..
- Ah.. bien bien.. et.. ?
- Depuis j'ai sorti la tête du lac et suis parti à sa recherche..
- Mais euh.. et vot'femme ??
- Je crois qu'elle a bu la tasse...
(* : Aimez-vous le passé)