Quand j’ai envoyé mon premier manuscrit (il s’agissait d’un recueil de nouvelles) à un éditeur, j’étais encore bien naïf, m’imaginant qu’avec un peu de chance il pourrait déboucher sur une publication.L’éditeur en question (en l’occurrence, c’était une éditrice) mit un an et demi pour me répondre … qu’elle ne publiait jamais de nouvelles d’un inconnu.
Un peu furieux, je lui fis aussitôt la remarque par courriel que ce n’était pas la peine d’attendre un an et demi pour me dire ce qu’elle aurait tout aussi bien pu me dire le premier jour.
Curieusement, elle me répondit, m’expliquant que les nouvelles ne se vendaient pas, qu’elle ne consentait à en publier que si elles avaient été écrites par ses auteurs « maison » et encore, bien à regret et en trichant (en donnant comme titre général au livre le titre de la première nouvelle, mais en se gardant bien de dire qu’il s’agissait d’un recueil de plusieurs récits. Bref, elle essayait tant bien que mal de faire passer pour un roman ce qui n’en était pas un).
Perfide, elle m’expliqua que pour les nouvelles, il fallait mieux d’abord passer par des publications en revue, pour se faire connaître. Et comme par hasard, elle s’occupait justement d’une revue… J’ai vite compris qu’il fallait être abonné si on espérait voir un jour son texte accepté. Je me suis donc abonné (je vous ai dit qu’à l’époque j’étais encore complètement naïf, à la limite de la sottise). Pendant un an j’ai donc reçu cette revue où je retrouvais les noms de tous les écrivains connus de ma région (je devrais dire « connus régionalement », pour mieux me faire comprendre). Vous voyez, il s’agissait de ces personnes invitées à toutes les réceptions locales, tous les vernissages de peinture, toutes les soirées culturelles organisées par quelque politicien en mal d’être élu, etc. Bref, des gens fort connus par leur nom (dans ma région toujours), mais dont j’aurais été bien incapable de citer le titre d’un livre.
Néanmoins, un an passa et, après avoir renouvelé mon abonnement, le temps me sembla venu de proposer l’un ou l’autre texte. Inutile de dire que je ne reçus jamais aucune réponse, pas même un petit accusé de réception. Manifestement, pour entrer dans la revue qui permettrait de me faire connaître, il fallait d’abord être connu… Passons. Pourtant, lorsque je lisais les textes de certains heureux élus (textes très courts qu’ils avaient dû composer entre deux cocktails et trois réceptions mondaines), ceux-ci ne me semblaient pas si extraordinaires que cela. Comme un thème était imposé pour chaque numéro de la revue, il m’est même arrivé de retrouver des textes qui ressemblaient étrangement aux miens. Non pas qu’il y ait eu plagiat, non, du tout, mais inévitablement, quand on écrit tous sur le même sujet, il arrive qu’on dise à peu près la même chose et dans les mêmes termes.
Je n’oserais dire que mes textes étaient meilleurs que les leurs (ce serait afficher une terrible vanité qui heureusement n’est pas dans ma nature), mais honnêtement je dirai quand même que je ne voyais pas en quoi les écrits de ces célébrités locales surpassaient les miens au point qu’on les préférât pour les insérer dans la fameuse revue. Bon, vous me direz que je suis mal placé pour juger et que ma réaction est celle d’un débutant jaloux du talent des autres. C’est possible et je n’insisterai donc pas sur ce point.
En attendant, le temps passait et j’avais déjà envoyé un deuxième manuscrit à l’éditrice qui tenait la revue. C’était un roman, cette fois. Puisqu’elle aimait cela, elle allait être servie !
(à suivre).