Quand Maurice Béjart se contentait d’une idée au fond assez simple pour la création du Boléro du grand Ravel, inverser l’ordre des choses et faire danser un homme pour quarante femmes, les deux jeunes chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui , Damien Jalet et leur scénographe performeuse à risques et adepte du body art conceptuel ont –semble-t-il- cherché midi bien au-delà de quatorze heures. Il suffit de lire le programme du spectacle avec attention pour tenter de comprendre cette absconse démarche :
Parce que les danseurs classiques auraient l’habitude de « tourner autour d’un axe fixe dans un processus galiléen », nos deux cosmologues rêvent d’inverser centrifuge et centripète et d’inventer une troisième voix afin de « rendre visible les vortex qui sont bien sûr, créés par les danseurs eux-mêmes. » Et de citer le Banquet de Platon pour qui l’expression du désir amoureux se traduirait par la quête de la moitié perdue.
Voilà pour la théorie. Qu’en est-il de la pratique ? Sur le plateau , un groupe indifférencié de danseurs capés de noir vite enlevées dévoilent leurs costumes de squelettes de train-fantômes et entament sur la musique ce grand chambardement du centre souhaité par les concepteurs, l’apport essentiel de la danse contemporaine selon eux : « Comment peut se déplacer le centre, comment les axes se transfèrent ». Heureusement les danseurs du corps de ballet sont excellents et cela se traduit sur scène par un emballement fou de corps pris dans un ouragan perpétuel d’arabesques, rotations, sauts et portés au fond assez classiques et censés traduire la circulation de la masse pondérale (ça ne s’invente pas) à travers le corps « comme si l’âme était liquide et qu’on la laissait couler d’un endroit à l’autre » . Le jeune chorégraphe est un peu mystico-foireux chacun sait cela , il vit dans un monde en spirales. Et encore , c’est méconnaître l’apport de la scénographe Marina Abramovic qui quitte la scène de la « performance » pour concevoir le « challenge »dit le programme, de la scénographie de Boléro. Au départ rappelle l’installatrice de dispositifs, « j’avais proposé que les danseurs dansent les yeux fermés ou que l’on joue le Boléro à l’envers » Dieu merci elle comprend que ce n’est pas possible et n’impose qu’une seule règle sur le plateau : pas de rouge ! Ouf. De concert avec les chorégraphes elle souhaite un centre vide et une circonférence nulle part. Afin d’éviter une figure centrale (ce qui - sans doute – ne serait pas très démocratique). Avec un centre vide tout tourne. Un boléro n’est-il pas une sorte de rite « chamanique », une « élévation spirituelle » ? Un immense miroir placé sur le plateau crée l’illusion que les danseurs flottent au centre de milliers d’étoiles. Et la « neige » électronique qui se reflète renvoie au Big Bang …Ben voyons Gaston ! La nouvelle écriture chorégraphique est une transe cosmique. Mais à y regarder de plus près, pareille scénographie pourrait au fond convenir à n’importe quel mouvement « perpétuel » ou répétition infini du même.
A côté de ce Boléro volcanico-chamanique, l’Opéra présentait quelques valeurs sûres
L’Oiseau de feu de Maurice Béjart (1970) avec une bonne surprise un Audric Bézard au sommet qui avance dans le sillon des plus grands.
L’Après-midi d’un faune (1912) de Nijinski. Après Nicolas Le Riche qui a poussé le rôle au plus haut , Benjamin Pech souffre un peu de la comparaison. Vraie curiosité son remake moderne : Afternoon of a faun de Jérôme Robbins. Il fallait oser mais là, le chorégraphe est à la hauteur. La psychanalyse est passée et ce n’est plus un faune qui s’excite sur un fétiche mais un Narcisse au regard incroisable.
Maurice Béjart ("L'oiseau de feu", sur la musique d'Igor Stravinsky), Vaslav Nijinski ("L'après-midi d'un faune", sur la musique de Claude Debussy), Jerome Robbins ("Afternoon of a faune", idem), Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet, Marina Abramovic ("Boléro", création d'après Maurice Ravel).
Les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet Orchestre de l'Opéra national de Paris