France, mai 2013. L’opposition est fragmentée, inaudible. Fillon, sabre au clair, part sur son poney de combat à l’assaut d’une présidentielle très lointaine. Copé, de son côté, tente un damage control qui serait amusant s’il n’était pas aussi pathétique. Heureusement, la majorité présidentielle, elle, s’occupe bien du peuple car François Hollande a pris la barre d’une main ferme et … Ah, tiens, non.
Quelque part, c’est très rassurant de savoir que le Chef de l’État combat vigoureusement l’esclavage dans les jardins du Palais Royal. Les Français peuvent enfin se sentir soutenus dans leur détresse montante à ce sujet (en plus des autres sujets, périphériques, de l’emploi en berne, du pouvoir d’achat en berne, des retraites en berne, de la sécurité sociale en berne, et de la dette en pleine vigueur). Et ce genre de commémoration est, il faut le rappeler, parfaitement indispensable pour chasser l’idée même que l’esclavage serait quelque chose de super ou de pratique : tant de partis politiques le prônent en effet dans leur plate-forme, tant de politiciens en font l’apologie à la télé ou à la radio, qu’il faut régulièrement un homme courageux qui monte au créneau (ou à une tribune) pour dénoncer ces attitudes scandaleuses. N’est-ce pas ?
C’est donc tout naturellement que François Hollande a rappelé la position du gouvernement et de la majorité à ce sujet : l’esclavage sera fermement combattu. Voilà. C’est dit. Et il en a profité pour expliquer que toute réparation serait impossible devant l’ampleur et l’ancienneté des dégâts que fit la traite esclavagiste (et puis aussi, parce que l’État n’a plus un rond, même pour faire taire certains bruyants militants en les noyant dans la subvention, mais ça, chut, on ne le dira pas ouvertement). On se contentera de rappeler que par « réparation », on entend bien sûr deux éléments.
D’un côté, on trouve bien sûr une réparation financière, sur laquelle nous reviendrons.
De l’autre, il s’agit de la partie historique dans laquelle la France et les Français devraient faire leur mea culpa, chose qui, il me semble, a été bruyamment faite depuis des années ; après tout, ces commémorations sont bien le rappel que ces traites existèrent, et furent sous la responsabilité des autorités et de marchands français de l’époque. D’ailleurs, et je rejoins ici la réflexion de mon camarade Didier Goux dans un récent billet, ces commémorations, aussi délicieusement décalées des préoccupations essentielles des Français, n’en demeurent pas moins une occasion rêvée de célébrer, justement, la force et la noblesse toute particulière de la France (et de l’Occident en général) qui a aboli l’esclavage partout où c’était possible, et notamment en Afrique. Car c’est bien la France qui a empêché les négriers locaux de vendre leurs frères aux marchands français par cette abolition ; c’est bien elle qui a ainsi arrêté la traite des Arabes ; c’est bien elle qui a aboli, dans chaque territoire colonisé au XIXème siècle, l’esclavage qui y régnait avant…
Évidemment, dit comme ça, je ne suis pas sûr que ces commémorations seraient adoubées par l’actuelle garde des sceaux et responsable de la loi qui créait ces commémorations, ainsi que par l’ensemble des associations citoyennes, festives et subventionnées en rapport avec le sujet.
D’autant que ce qui intéresse ces dernières au plus haut point est, comme je le mentionnais au-dessus et au premier chef, les réparations financières. Pensez donc ! Cette traite a généré des sommes considérables à l’époque, et avec les intérêts, sur plusieurs siècles, tout ceci nous fait un joli pactole qui mettrait pour une durée fort agréable ces associations à l’abri d’une baisse drastique de subventions, par exemple à l’occasion d’un rétrécissement subit du giron de l’État.
Cet appât d’un gain juteux se traduit, très concrètement, par l’assignation en justice de la Caisse des Dépôts et Consignations par le CRAN (Conseil arbitrairement jugé Représentatif des Associations Noires) pour avoir honteusement profité de la traite négrière ; en effet, selon son président, Haïti ayant acquis en 1804 son indépendance contre des sommes équivalentes à 21 milliards de dollars actuels, payées entre 1825 et 1946, la CDC a encaissé un profit direct de cette traite. On s’amusera, bien sûr, du fait que la CDC n’est dépositaire des sommes que pour un maximum de 30 ans, ce qui veut dire que nos amis du CRAN se trompent de cible et auraient dû attaquer le Trésor Public. Or, pour une association massivement subventionnée par l’État, s’attaquer à son principal bailleur de fonds, c’est pour le moins comique. D’autant que cette institution n’a pas spécialement la réputation de lâcher le morceau facilement. À côté, la CDC fait figure de fille facile.
Le pompon est bien sûr de mettre côte à côte l’avidité affichée du CRAN pour ces crimes passés et les profits qui y sont rattachés avec la situation actuelle de l’association, secouée par des affaires d’usurpation de fonction et de mouvements de fonds suspects qui mettent aux prises l’ancienne et l’actuelle direction. On apprend en effet que Tracfin, l’organisme anti-blanchiment du ministère des Finances, a lancé une enquête sur l’association suite à des mouvements de fonds entre le compte du CRAN, le compte personnel de Patrick Lozès, son précédent président, ainsi que celui de sa société de consulting L&Associés, fondée en 2008, pour des chèques d’un montant total de 130 000 euros et des virements de l’ordre de 240 000 euros versés sur le compte de sa société par l’organisation humanitaire World Children’s Fund.
Décidément, la lutte contre le racisme, l’esclavagisme et la pauvreté chez les dirigeants d’associations subventionnées bat son plein et nécessite des sommes considérables !
Si l’on ajoute aux lubies du CRAN celle d’un autre groupuscule aussi bruyant que téteur d’argent public, le Front de Gauche, qui réclame à cors et à cris que le mot « race » soit supprimé de la constitution et de la loi, on voit émerger un tableau d’ensemble intéressant ou des douzaines de personnes entendent occuper un maximum d’espace public et médiatique pour des sujets positivement passionnants. Certes, le président Hollande avait lui-même tendu cette perche avec laquelle il se fait actuellement rosser, et ne boudons pas notre plaisir : c’est bien fait, il le mérite amplement.
Mais quand bien même : on se dit, devant tout ça, que les motivations et buts personnels de tout ce beau monde sont vraiment en parfaite synchronicité avec le reste du peuple français qui attendait ces combats depuis longtemps : les élites françaises tabassent l’Histoire, nettoient la mémoire officielle, apurent la langue, charcutent la Constitution. C’est avec l’envie d’en découdre avec leurs démons imaginaires et une culpabilité en carton-pâte pour des actes que mêmes leurs grands-parents n’ont pas commis qu’ils entendent résoudre les problèmes actuels qui se posent au peuple qu’ils prétendent conduire. C’est donc avec les yeux rivés sur le passé qu’ils s’occupent des Français du présent.
Ça ne peut que réussir, c’est évident.