Etonnant ! Le tout premier Airbus A350XWB, dűment équipé de ses deux Rolls-Royce Trent et de son unité de puissance auxiliaire Honeywell, et passé par l’atelier de peinture, fin pręt pour d’ultimes vérifications avant son premier vol, va Ťofficiellementť sortir d’usine en présence de centaines de salariés de l’entreprise mais loin d’invités et des médias. C’est une premičre pour le moins curieuse et, ŕ vrai dire, inexplicable. Et, sans d’inévitables radios-couloir, sans doute le secret aurait-il été bien gardé.
L’apparition du dernier-né européen constitue pourtant un événement important, le début d’un programme prometteur qui, ŕ quelques semaines de son premier décollage, bénéficie déjŕ de 617 commandes signées par non moins de 35 clients. Les acheteurs de la premičre heure constituent de solides références, ŕ commencer par Qatar Airways (80 exemplaires), Emirates (70), Cathay Pacific (46), Singapore Airlines (40). C’est dire que le biréacteur européen a d’ores et déjŕ atteint son cœur de cible, malgré la concurrence frontale du Boeing 787. Mieux, la version allongée A350-1000 ŕ 350 places, 440 en version densifiée mono-classe, met le concurrent américain dans l’embarras et l’oblige ŕ proposer sans plus attendre un 777X aux performances équivalentes.
Au plan médiatique, le calendrier de l’A350 est quelque peu défavorable : de toute évidence, il ne sera techniquement pas possible d’exposer l’avion au salon de l’aéronautique du Bourget, le mois prochain, encore qu’il risque de décoller pour la premičre fois de Toulouse-Blagnac au moment de l’ouverture des portes de la manifestation. Ce qui n’explique pas pourquoi il n’y aura ni Ťroll-outť, ni Ťrevealť. Une innovation ŕ l’envers, une rupture brutale avec une longue tradition ponctuée de souvenirs émouvants, de discours vibrants, de fanfares bien sonores, de promesses industrielles et politiques expliquant ŕ l’infini que l’union fait la force.
Cette saga a débuté le 28 septembre 1972 avec la premičre apparition publique de l’A300B, concrétisation d’un impressionnant défi européen, devant 2.000 invités, dont Pierre Messmer, Premier ministre français, et de nombreux officiels de haut rang venus d’Allemagne, du Royaume-Uni, etc. Malheureusement, si l’on ose dire, les communicants de Sud-Aviation avaient eu la mauvaise idée, ce jour-lŕ, de mettre un Concorde face ŕ l’A300B. L’attrait du supersonique franco-anglais était tel qu’il fit de l’ombre au gros biréacteur. Mais on sait ce qu’il en advint quelques années plus tard.
D’autres cérémonies sont inscrites en bonne place dans la mémoire collective. A commencer par la présentation trčs réussie du premier long-courrier A340, symbole de reconquęte du marché, agrémentée des notes fortes de l’orchestre du Capitole de Toulouse placé sous la direction de Michel Plasson. Puis, le 14 février 1987, la mise en scčne exceptionnelle imaginée pour le roll-out de l’A320 dont l’élégante marraine n’était autre que Lady Di, princesse de Galles. Fumigčnes et lasers enrichissaient la musique de Jean-Michel Jarre, la voix de stentor de Léon Zitrone était ŕ la mesure de l’événement, Jacques Chirac était ravi.
D’autres cérémonies furent plus modestes, notamment celles consacrées, dans l’ordre chronologique, aux A319, A321 et A318, toutes tenues ŕ Hambourg dans un cadre sans âme. Puis vint l’A380, le gros porteur de tous les superlatifs. Le site grandiose Jean-Luc Lagardčre, c’est-ŕ-dire la cathédrale aéronautique AeroConstellation, inaugurée en présence de la reine Elizabeth, puis le roll-out trčs réussi avait réuni, outre Jacques Chirac heureux de revenir ŕ Toulouse, Tony Blair, Gerhard Schroeder et José Luis Zapatero. De grands moments, de beaux souvenirs, comme l’avaient été d’autres cérémonies marquantes, par exemple l’inauguration par François Mitterrand des vastes halls de l’usine Clément Ader, en octobre 1990. L’A350XWB méritait largement de trouver sa place dans cette succession de moments forts. D’oů un sentiment de manque qui męle étonnement et incompréhension.
Pierre Sparaco - AeroMorning